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Depuis vingt ans, le peuple a souffert assez pour avoir besoin qu’une main providentielle le vienne relever de sa misère. Peu lui importe que le désert se soit obstiné à se taire qui peut assurer qu’un jour la voix de ses houles de sable ne lui annoncera point le triomphal retour du brillant et malheureux sultan Isahid ?

Laissons là pourtant la poésie légendaire, et hâtons-nous de revenir à l’histoire, car aussi bien n’avons-nous à parler que de choses trop réelles, nous voulons dire la situation déplorable ou l’avide et inintelligente administration du sultan Abderrahman a réduit un pays déjà si profondément désolé. Abderrahman et son oncle n’abusèrent pas trop de leur victoire, dans toutes les provinces, on mit à mort les chefs et les instigateurs de la révolte, mais comme, en définitive, il n’y eut pas d’exécution en masse et que des villes entières ne furent pas livrées au pillage, ils acquirent l’un et l’autre un vrai renom de clémence, qui fit la force d’Abderrahman, lorsque le vieil empereur, arrivé au dernier terme de la vieillesse, le désigna pour lui succéder après lui. À la mort de Muley-Soliman, Abderrahman fut reconnu d’une voix à peu près unanime ; les premiers qui lui vinrent jurer obéissance étaient précisément les vingt-sept fils de Soliman, et il eut d’autant plus lieu de s’en applaudir qu’ils avaient presque tous une grande autorité dans l’armée, que huit d’entre eux avaient tour a tour commandée. Il faut ajouter pourtant, et c’est là un fait dont la presse européenne a eu tort de ne point tenir compte que les enfans de Soliman, le sultan Ibrahim excepté, étaient fils de négresses, et que de temps immémorial, au Maroc, les fils de négresse sont presque toujours exclus de la succession au trône. Aujourd’hui, trois seulement survivent Muley-Ali, Muley-Hacen et Muley-Giaffar, et tous les trois occupent des postes importans dans l’administration ou bien encore auprès de l’empereur et de ses deux fils aînés. Le premier de ses fils, Sadi-Mohamad, est le prince à qui notre vaillante armée d’Afrique a fait essuyer tout récemment une si rude défaite. Gouverneur de Maroc quand son père réside à Fez, ou de Fez quand Abderrahman va se fixer à Maroc, Sidi-Mohamad est un homme de quarante ans environ, profondément versé, dit-on dans les lettres arabes, d’un caractère énergique et d’un esprit beaucoup plus élevé que ne l’a été jusqu’ici celui des héritiers présomptifs chez les descendans des Muza et des Almanzor. Le frère puîné de Sidi-Mohamad se nomme Muley-Ahmed ; il est aujourd’hui pacha de Rabat. Les autres enfans de l’empereur sont dispersés dans le pays ; leur éducation est confiée à de riches Maures qui en répondent sur leur vie et sur leur fortune C’est un usage établi depuis des siècles que l’on coupe la tête au précepteur convaincu d’avoir trompé la confiance du sultan ; mais pourvu qu’il sache épeler le Koran, monter à cheval, tirer au galop des coups d’arquebuse aussi vite et aussi adroitement qu’un soldat de la garde noire, un prince au Maroc passe pour avoir reçu une éducation accomplie.

Muley-Abul-Fald-Abd-en-Rahamen (tel est le nom exact du sultan actuel)