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D’un autre côté, l’Angleterre leur apparaît comme une ennemie secrète, comme une ennemie qui, tout en les caressant, voudrait les priver de toute vigueur et de toute vitalité. A défaut de l’Autriche, qui dort, la France reste donc seule, et c’est son nom qu’on invoque. Pendant long-temps, j’ai blâmé comme ridicule la protestation que la France fait tous les ans en faveur de la Pologne ; j’avais tort. Cette protestation, tout impuissante qu’elle paraît être, retentit au cœur des populations asservies, et leur prouve qu’au jour de son réveil la France sera encore leur plus fidèle appui. Encore une fois, à Jassy comme à Belgrade, à Bucharest comme à Salonique, un mot, un geste de la France réveillent toutes les espérances. C’est une force dont elle aurait bien tort de ne pas se servir, surtout quand il s’agit pour elle, non de s’agrandir, mais de s’opposer à ce que d’autres s’agrandissent, non d’asservir les populations confiantes, mais de les affranchir.

Il est d’ailleurs inutile de démontrer que si, dans le démembrement de l’empire ottoman, chaque petite nationalité voulait s’ériger en état indépendant, l’asservissement successif ou simultané de toutes les nationalités en serait la conséquence inévitable. C’est ce que ne doivent oublier, dans aucun cas les trois ou quatre branches du tronc slave qui occupent la plus grande partie de la Turquie européenne. Quant aux provinces helléniques, à l’Epire, à la Thessalie, à la Macédoine presque entière, il est certain que généralement on y désire entrer dans la communauté grecque ; il est certain que, dans un but, des hétairies nombreuses y sont organisées, et que pour éclater ces hétairies n’attendent qu’un moment favorable. Par les motifs que j’ai dits, la Russie pousse activement à ce mouvement, comme elle a poussé au mouvement de septembre, comme elle pousse à tout ce qui peut précipiter la crise. L’espoir des Grecs amis de leur pays, c’est que cette fois encore la Russie aura travaillé pour d’autres que pour elle. Il n’y en a pas moins là un danger qui leur impose beaucoup de réserve et de patience.

Ce danger n’est pas le seul, et il en est un autre auquel doivent songer sérieusement les patriotes grecs, c’est celui d’une irruption nouvelle de l’Albanie mahométane. On sait que les Albanais mahométans, les Arnautes comme les appellent les Turcs, les Shypetars, comme ils s’appellent eux-mêmes, sont un des peuples les plus belliqueux, les plus turbulens, les plus féroces qu’il y ait au monde On sait aussi que, quand ils ne sont pas en insurrection, les Turcs se servent d’eux volontiers pour réduire, pour châtier les populations