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les autres les populations du Maroc. Il y a trois siècles à peine, la couronne du Maroc. Il y a trois siècles à peine, la couronne du Maroc était réellement élective, comme le veut la loi du prophète. Aujourd’hui, le peuple est forcé d’accepter le maître que lui impose la volonté d’un seul homme ou celle d’un très petit nombre d’oligarques ; depuis un temps immémorial, le sceptre est fixé dans une seule famille, et pourtant c’est encore par une sorte d’élection qu’il est transmis, soit que de son vivant l’empereur se choisisse un successeur entre les mains duquel il dépose la souveraine puissance, soit qu’il le désigne dans son testament, soit enfin qu’après sa mort une vingtaine de nobles proclament le prince qui doit hériter de l’empire : ce prince est toujours choisi dans la dynastie des Muley. On peut juger s’il est aisé de faire un choix parmi des centaines de compétiteurs, ambitieux et remuans, qui d’ailleurs se voient exposés à tout perdre, si l’on se refuse à leur tout donner. Le nouveau sultan ne règne qu’à la condition de réduire de nombreux et opiniâtres soulèvemens ; c’est dans la ruine absolue et dans le sang des rebelles que s’étouffent les rébellions. Il est sans exemple que de telles collisions n’aient point duré des années entières, et pendant ces années-là le gouvernement civil est de fait complètement suspendu. Peu importent les vols, les assassinats, les vengeances particulières, les exactions de toute espèce ; c’est un compte hideux où s’accumulent les crimes les plus odieux et les plus lâches, et qui, après la victoire, se règle tout simplement par l’implacable proscription des vaincus. Les populations du Maroc se divisent alors en deux classes bien distinctes, celle des oppresseurs et celles des opprimés : d’une part, les races musulmanes qui, avec des chances diverses, se disputent la prééminence politique ; de l’autre, les renégats, les Juifs et autres parias dont le concours est repoussé par les parties belligérantes qui se ruent sur eux comme sur des ennemis communs envers lesquels on n’est pas même tenu de conserver le moindre sentiment humain. Le seul moyen de salut qui reste alors aux proscrits, c’est d’implorer un asile dans la maison de quelque Maure puissant qui les accueille avec leur famille. Si le protecteur qu’ils se sont donné est généreux et loyal, ils n’ont plus guère d’autres périls à courir que ceux auxquels il est exposé lui-même. C’est là un cas extrêmement rare ; presque toujours ils se doivent estimer fort heureux qu’on leur veuille bien laisser la vie sauve au prix de leurs terres et de leurs capitaux.

La dernière crise a duré huit ans ; c’est celle d’où Abderrahman est sorti empereur. Il n’y en a jamais eu peut-être qui ait fait mieux ressortir les perfides et féroces instincts dont se compose le caractère des Arabes du Maroc. Las de régner et désirant prévenir les catastrophes que tout changement de règne appelle sur le pays, le sultan Muley-Soliman abdiqua en faveur du plus âgé de ses fils, Muley-Ibrahim. A peine monté sur le trône, le nouveau sultan vit la tribu des Shilogs lever contre lui l’étendard de la révolte ; à la première campagne qu’il entreprit pour châtier les Shilogs, ceux-ci le prirent et le mirent à mort. On était alors vers le milieu de 1817. Muley-Soliman lui-