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peuples se tirent des coups de canon ; une alliance enfin pleine de déceptions, de dégoûts, d’appréhensions et de périls, au lieu de cette autre alliance que les chambres ont plus d’une fois conseillée, association féconde dans le sein de laquelle les deux pays, appelés à marcher de concert vers un noble bu, travaillant à une œuvre communes, oublieraient dans une émulation glorieuse leur rivalité séculaire, et s’agrandiraient ensemble sans se nuire ! C’est aux chambres de remettre en honneur cette politique dont les deux peuples ont un égal besoin. Il faut songer sérieusement aux résolutions extrêmes vers lesquelles ils ont failli être poussés. La France ne pourrait pas toujours faire des concessions ; elle n’aurait pas toujours au service de sa dignité, et pour protéger son honneur, les lauriers de Tanger et de Mogador, et la bataille d’Isly.

Les trophées conquis par nos soldats à Mogador et sur l’Isly ont été portés devant les rangs des bataillons que le roi a passés en revue dimanche dernier. La population parisienne les a salués avec un grand enthousiasme. Cette solennité militaire a causé une vive impression. La pensée publique aime à s’arrêter sur ces hommages rendus à nos gloires récentes, dignes héritières de celles qui les ont précédées Le pays doit une grande reconnaissance à sa flotte et à son armée. Sans leurs succès, où en serions-nous ? A quelles extrémités aurait été réduite la politique de M. Guizot, livrée à elle-même ! Sans ces jeux de la force et du hasard, que M. Le ministre des affaires étrangères a toujours dédaignés, et qu’il a osé ridiculer un jour devant une chambre française, dans un accès de philantropie ironique, le voyage du roi à Windsor serait-il possible ? Ce but avoué de toute la politique de M. Guizot depuis trois mois serait-il atteint ? Quelle figure ferait en Angleterre M. Le ministre des affaires étrangères, portant d’une main le blâme infligé à M. D’Aubigny, et de l’autre l’indemnité de M. Pritchard, si un peu de gloire dérobée au prince de Joinville et au maréchal Bugeaud ne venait se refléter sur lui !

On a orné d’une couronne ducale l’écusson du maréchal Bugeaud ; on a cru que sa gloire ne pouvait se passer d’un titre. Cette innovation aristocratique a été en général fort peu goûtée ; elle fera sourire l’ancien régime dans les salons du faubourg Saint-Germain, et il aura raison. Pourquoi lui faire concurrence ? Penserait-on à créer une noblesse de la révoloution de juillet ? L’idée serait bizarre. Nous savons bien que depuis plusieurs années on donne assez facilement des titres à ceux qui en demandent. C’est une affaire de chancellerie : on crée des barons, des comtes, pour les besoins de la diplomatie ; c’est une chose reçue. Voulez-vous être baron, priez M. Le ministre des affaires étrangères de vous donner une lettre à porter dans quelque cour d’Allemagne ; on vous remettra le titre et la lettre à la fois. Du reste, ceux qui se font ainsi des armoirires ont le bon goût de ne pas en être trop fiers : ce sont les aristocrates les plus simples du monde. De ce côté, l’esprit plébéien de la révolution de juillet n’est pas en péril ; l’égalité n’est pas menacée.