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LETTRE À ROSSINI.

et la perspective entrevue de vos vanités satisfaites, vous pourriez leur répondre par l’histoire de ce ballet du théâtre Carcano qui s’intitulait : Il ritorno d’Orfeo del inferno ossia la gloria del celebre maestro Rossini, et dans lequel on voyait Orphée évoquer Euridice du sein du Ténare en lui jouant sur la flûte la romance du saule. Du reste, ces sortes de flatteries ne vous ont jamais trop tourné la tête, que je sache. Votre prédilection s’est de tout temps montrée pour les choses positives[1], rebutant l’idéal non sans quelque cynisme peut-être, de sorte que, chassé de votre vie, il n’avait rien de mieux à faire que de se réfugier dans vos chefs-d’œuvre. Que vous manque-t-il encore, à vous que les honneurs vont chercher jusque dans votre exil ? Dernièrement Frédéric-Guillaume IV ne vous adressait-il pas le diplôme de chevalier de l’ordre du mérite de Prusse ? Il est vrai que vous partagez cette distinction avec M. Liszt. Désormais l’heure de la philosophie a sonné pour vous. Retiré à Bologne depuis 1838, loin des passions, loin de ce gouffre du théâtre autour duquel gravitent encore dans les an-

    musical n’aurait-il pas trouvé son Épicure ? Puisque nous sommes en veine de citations, donnons encore ici le fragment d’une lettre qu’il écrivait de Rome à la Colbrand pour annoncer le succès du Barbiere à la célèbre cantatrice, qui depuis fut sa femme. « Mon Barbier gagne de jour en jour, et le drôle sait si bien ensorceler son monde, qu’à l’heure qu’il est, les plus acharnés adversaires de la nouvelle école se déclarent pour lui. Le soir, on n’entend dans les rues que la sénérade d’Almaviva ; l’air de Figaro : Largo il factotum, est le cheval de bataille de tous les barytons, et les fillettes, qui ne s’endorment qu’en soupirant : Una voce poco fâ, se réveillent avec : Lindore mio sarâ. Mais ce qui va vous intéresser bien autrement que mon opéra, chère Angélique, c’est la découverte que je viens de faire, d’une nouvelle salade dont je me hâte de vous envoyer la recette. Prenez de l’huile de Provence, de la moutarde anglaise, du vinaigre de France, un peu de citron, du poivre et du sel, battez et mêlez le tout, puis jetez-y quelques truffes, que vous aurez soin de couper à menus morceaux. Les truffes donnent à ce condiment une sorte de nimbe fait pour plonger un gourmand dans l’extase. Le cardinal secrétaire d’état, dont j’ai fait la connaissance ces jours derniers, m’a donné pour cette découverte sa bénédiction apostolique. Mais je reviens à mon Barbier, etc. » — La truffe, disait-il un jour au comte Gallenberg, est le Mozart des champignons. En effet, je ne connais à don Juan d’autre terme de comparaison que la truffe ; l’un et l’autre ont cela de commun, que, plus on en jouit, et plus on y trouve de charmes. »

  1. Je rappellerai à ce sujet une anecdote que je tiens du marquis de Louvois, et qui peint l’homme. En 1819, l’académie de Pesaro, sa ville natale, non contente d’avoir déjà le buste en marbre du jeune maître, lui vota une statue en pied de grandeur naturelle, qu’on devait élever sur la place de l’hôtel-de-ville, afin, disait le protocole municipal, que les gens de la campagne qui viennent les mardi et vendredi