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nos théâtres secondaires font preuve d’une ingénieuse fécondité, d’une habileté souvent surprenante dans un art qui consiste à rendre les médiocrités supportables. Ils forcent les effets, comme on dit dans le jargon théâtral, c’est-à-dire qu’au lien de les attendre du jeu sympathique de leurs interprètes, ils les font jaillir forcément de la situation. Dans ce genre bâtard, qui ne s’inquiète pas plus de la nature que de l’idéal, l’imprévu, la bizarrerie des incidens, sont les uniques moyens d’intérêt. L’acteur, emporté par ce mouvement désordonné qu’on est convenu d’appeler action, n’a pas le temps de poser son jeu, de dessiner un type. Le style qu’il doit débiter est d’ordinaire tellement négligé, que si une prononciation savante le déroulait lentement, on n’en pourrait supporter les taches et la misère. Chauffer la scène par la précipitation du débit et l’abus du geste, enlever la situation invraisemblable, c’est le comble du talent. Une seule qualité, l’entrain, tient lieu de tous les genres de mérite qu’un artiste véritable obtient par de longues études.

La diversité, l’antagonisme des genres, ne seraient pas un mal, si chaque école restait franchement dans les limites de son système. Malheureusement il n’en est pas ainsi : les théories sont tombées en défaveur chez les artistes comme parmi le public ; on s’est endormi mollement dans l’idée que nous sommes parvenus à une époque de fusion qui doit concilier tous les genres. Représentons-nous l’état de notre scène, en laissant à l’écart un très petit nombre de personnes dont le mérite hors ligne échappe aux classifications. Les comédiens de notre temps peuvent être distribués en trois groupes : d’une part, les artistes voués à l’ancien style, mais formés à une époque où l’école classique, démoralisée par des attaques imprévues et violentes, était véritablement affaiblie. N’apportant devant le public qu’un idéal d’emprunt dont ils ont les habitudes traditionnelles, mais rarement le sentiment, ils ne résistent pas à la tentation de rétrécir leur manière pour paraître plus naturels, de risquer souvent des accens vulgaires qui semblent d’autant plus vrai qu’ils font contraste avec leur emphase routinière.D’autre part, des artistes pleins de feu et d’une intelligence pénétrante, mais qui, habitués seulement à cette vague étude de la nature qu’a recommandée le romantisme, n’ont pas aujourd’hui un mécanisme d’exécution assez complet, assez sûr, pour aborder avec un plein succès le genre classique qui reprend faveur. Le dernier groupe, le plus nombreux de tous, se compose de ceux qui, livrés dès leur jeunesse aux hasards de l’instinct, formés par la pratique sur les scènes vulgaires,