Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

but ici que de constater l’influence du romantisme par rapport à l’art de la déclamation, et je le ferai dans les termes les plus simples, afin d’éviter tout ce qui pourrait ressembler à des récriminations littéraires.

Au siècle dernier, le grand secret était celui d’ennoblir la réalité, et sans négliger la peinture des caractères et des passions, on obtenait l’effet principal du beau développement des attitudes, de la justesse et de la mélodie des intonations vocales. Sous l’inspiration romantique, l’effet fut déplacé. Afin de peindre le monde dans sa plus rigoureuse vérité, et la passion dans sa plus saisissante énergie, on renonça systématiquement à la diction finement détaillée, à la sonorité mélodieuse et enivrante : on rechercha le ton vrai dans l’accent, comme le mot propre dans la phrase. On s’en tint, pour le fond du dialogue, au sans-gêne de la vie commune, et on se réserva pour lancer de temps en temps avec puissance le cri de l’instinct. De même pour le jeu muet La gesticulation, au lieu d’être dessinée méthodiquement devint indécise et vagabonde comme dans la nature, où le geste ne se caractérise que dans les grands mouvemens de la passion. A la beauté d’aspect on préféra un pittoresque dont trop souvent le costumier a fait seul les frais. Chacun des deux genres a un vernis poétique qui lui est propre. Chacun a ses avantages, que le talent fait valoir, et aussi ses inconvéniens que la médiocrité, rend insupportable. Les grands écueils sont d’un côté l’emphase, de l’autre la vulgarité. Dans l’idéalisme, tel que l’ont, conçu les Grecs, et comme l’ont appliqué Corneille et Racine, il n’y a de vrai que le sentiment ; le parler et l’aspect ne sont pas naturels, parce qu’ils sont logiques et plus beaux que la nature. Dans le naturalisme, au contraire, les apparences extérieures sont vraies, mais le sentiment est souvent faussé, parce que l’acteur serait froid et insignifiant, s’il ne l’exagérait jamais. Il résulte de ce parallèle que l’idéalisme et le romantisme, dans la déclamation, constituent deux arts distincts dont les procédés et les effets sont différens : ce sont comme deux instrumens dont chacun a son mécanisme particulier. L’important, je le répète, est de se pénétrer de leur diversité. Exclure l’un au profit de l’autre, ce serait rétrécir, sans raison légitime, le cercle de nos jouissances.

Au-dessous des deux systèmes littéraires dont je reconnais la légitimité, s’est produit, par la nécessité d’alimenter les trop nombreuses scènes d’un ordre inférieur, un troisième genre de pièces imaginées en faveur des théâtres qui n’ont pas d’acteurs. Les écrivains qui soutiennent