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les pères nobles et les rôles à manteau jusqu’aux valets et aux types ridicules. Il fut à peine remplacé par trois acteurs du premier mérite, Dugazon, Dazincourt et Larochelle. Une comédienne seulement, Mlle Dangeville, lui fut comparable pour la perfection et la variété de son talent. Mon plan m’oblige à mentionner encore les deux artistes qui, par le prestige de leurs manières, ont le plus contribué à élever le style de la comédie, Mlle Louise Contat et Molé. Dix années de lutte contre un public sévère jusqu’à la rigueur, furent pour Mlle Contat un apprentissage qui la conduisit au plus haut point de son art. Sa supériorité dans l’emploi des grandes coquettes a laissé des impressions ineffaçables ; mais la coquetterie, cet art qui consiste à charmer les hommes, en se moquant d’eux, avait communiqué à son débit plein d’agrément, à son regard brillant et fin, une intention de persiflage qu’on lui reprochait de conserver dans tous ses rôles. Nous avons un témoignage de l’intelligence de cette actrice, un écho de sa manière enjouée et spirituelle dans le style consacré des pièces, de Marivaux, qu’elle a empruntées à une scène inférieure pour les élever au ton de la Comédie-Française. Le prédécesseur de Molé, Grandval, beau de formes et d’un maintien irréprochable, avait été le modèle accompli de la bonne société, l’homme parfait qu’on estime. Molé établit le type de l’homme charmant et dangereux qu’on ne peut s’empêcher d’aimer. Comédien des plus variés, il conserva sous tous les aspects une séduction de manières, une vivacité de bon goût, une fine fleur d’aristocratie qui le rendait intéressant et gracieux, jusque dans les détails insignifians de ses rôles. « Il possédait, a dit un de ses biographes, cette magie, éblouissante du talent qui pare le ridicule et embellit jusqu’au vice. »

La dispersion de la Comédie-Française, pendant les orages de la révolution, eut des conséquences funestes pour l’art théâtral. Désunie par la misère et plus encore par les haines politiques, la société se dissémina dans ces innombrables troupes qui se formèrent de tous côtés après la proclamation de la liberté des théâtres. Confondus avec des acteurs vulgaires, condamnés à se faire applaudir par un public grossiers dans des pièces pitoyables, les vrais comédiens perdirent cette estime d’eux-mêmes, ce légitime orgueil qui les portait à soutenir leur répertoire assez haut pour que sa supériorité ne puisse pas être mise en contestation. Néanmoins, après que le directeur eut reconstitué la Comédie-Française par le rapprochement de ses anciens membres et par l’adoption de plusieurs talens nouveaux, la société