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mieux parler, de ces besoins irrésistibles, on comprendra, nous l’espérons, que vis-à-vis d’Abderrahman et entre les nations européennes elles-mêmes, la question peut à chaque instant se reproduire avec tous ses périls, avec toutes ses difficultés ; on comprendra que, dès maintenant, il eût mieux valu débattre et régler avec le sultan les conditions précises auxquelles l’Europe entière pourrait avoir, pour son industrie et pour son commerce, le libre accès du Maroc.


I. — DES RELATIONS DIPLOMATIQUES DU MAROC AVEC LES PUISSANCES CHRETIENNES.

Toutes les nations, chrétiennes, si l’on excepte la Prusse et la Russie, qui n’ont pas encore paru sur les côtes d’Afrique, et la France qui a souvent sacrifié ses intérêts à sa dignité, ont, depuis le XVIe siècle, consenti à payer tribut à l’empereur du Maroc. C’est pour assurer un peu de sécurité à leur navigation, à l’embouchure si dangereuse des fleuves de Larache, de Salé, de la Marmora, par où les rapides chebecks des pirates pouvaient à l’improviste fondre, comme l’éclair, sur leurs navires, ou bien, après une défaite, se soustraire complètement à leur vengeance, que la plupart des puissances civilisées, grandes et petites, ont traité à des conditions si humiliantes avec les sultans. Par sa position géographique, l’Espagne se vit forcée d’entamer les négociations, le plus fier de ses rois, Philippe II lui-même, envoya un grand, don Pedro de Venegas, supplier le sultan de Fez de lui vouloir bien rendre le corps de son neveu, l’héroïque dom Sébastien de Portugal. Sous Philippe III, une révolution ayant tout à coup relégué le sultan à Ségovie, un traite fut conclu avec ce xherif ; qui s’engageait à livrer Larache et plusieurs lieues de terrain, dans les environs de toutes les places espagnoles, à la condition qu’on lui fournît une somme énorme en ducats, six mille arquebuses, et en général tout ce dont il avait besoin pour reprendre possession de son trône. Le sultan repassa le détroit, ressaisit sa couronne, et il va sans dire qu’il refusa nettement de remplir les obligations, contractées envers le roi catholique Avant la fin de son règne, la guerre civile se ralluma, et continua, sous ses successeurs, à désoler l’empire pendant cent cinquante ans environ. Certes, durant ce siècle et demi, l’Espagne aurait pu venger aisément ses vieilles injures ; mais l’Espagne s’épuisait à exploiter l’Amérique, à opprimer le Portugal, l’Italie, les Flandres, à fomenter en France les troubles et les conspirations : sous le dernier roi de race autrichienne, elle s’engourdissait profondément dans un marasme entrecoupé d’émeutes, plus tard, elle se débattait dans les guerres de la succession. L’Espagne ne songea qu’en 1767 à établir avec le Maroc des relations formelles ; un traité fut conclu ou, pour mieux parler, fut convenu, car, après des négociations sans fin, entremêlées de rencontres à main armée et de contestations sanglantes, ce traite ne reçut qu’en 1798 sa sanction