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étaient desservis au hasard, par des comédiens ambulans qu’on retenait au passage, ou par des artisans qui, le soir, quittaient l’atelier pour la scène. « Très souvent, disait-il il y a cent ans un voyageur français, votre cordonnier est le premier ténor de l’opéra, et l’on achète au marché les choux et les fruits des filles qui ont la veille chanté Armide ou joué Sémiramis. » La condition précaire de ces acteurs les condamna long-temps à une médiocrité grotesque. Figurons-nous l’indignation d’un secrétaire perpétuel de l’Académie française, du savant abbé Dubos, en voyant vers 1730, sur la scène allemande, « Scipion fumer une pipe de tabac et boire dans un pot de bière sous sa tente, en méditant le plan de la bataille qu’il va livrer aux Carthaginois ! » Vers la fin du siècle, des artistes véritables s’étaient formés à l’imitation des grands maîtres de Paris et de Londres. Celui qui justifia le mieux l’enthousiasme de son pays fut Eckhof, remarquable surtout dans certains rôles d’origine française, comme Lusignan et le Père de Famille. L’émancipation poétique, prêchée par Lessing et réalisée par Schiller, n’était pas de nature à favoriser l’essor de l’art théâtral. Les poèmes dialogués de la nouvelle école, parfois admirables par l’ampleur de la conception, par l’épanouissement lyrique, sont peu conformes aux lois de la perspective scénique. L’exécution en est très difficile, et réponde rarement, assure-t-on, aux efforts de l’acteur. Aussi en est-on revenu communément, en Allemagne, aux drames à situations pressées et pathétiques, ou aux pièces empruntées aux répertoires divers de la France.


IV – THEÂTRE FRANCAIS

Nous avons pu voir que dans les pays étrangers, comme en France avant Corneille, s’est manifestée dans l’art dramatique une tendance vers cet idéal qui semble un des besoins de l’ame humaine, mais que partout la tentative échoua, et qu’on en revint sur toutes les scènes à laisser parler les instincts populaires. Les érudits qui cherchaient systématiquement le secret de l’antiquité ne pouvaient rencontrer que l’ennui. On ne s’était pas encore rendu compte, au XVIe siècle, de ce qui constituait la déclamation idéale des anciens, et, l’eut-on découverte, on aurait vu qu’elle n’était plus applicable aux temps modernes. La déclamation antique recevait sa plus grande puissance d’un rhythme fortement prononcé ; les langues de nouvelle formation ont bien aussi leur rhythme, mais plus souple, plus mystérieux, et dont la vertu, n’est connue que du génie. Le style du geste, dans