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chanteur pousse des soupirs efféminés. De temps en temps, il embrouille et débrouille l’écheveau de ses artificieuses roulades. Vous le voyez imiter tous les gestes des comédiens ; ses lèvres sont crispées, il roule ses yeux, il joue des épaules, et à chaque note qu’il émet correspond un certain mouvement de ses doigts. »

Le déclin de cet âge qui éveille communément dans les esprits des idées de candeur et de naïveté, le XVe siècle, est une époque de souffrance sourde où le besoin de la dissipation est poussé jusqu’à la fureur. Le théâtre est partout, dans l’église, dans les châteaux, dans les cours de justice. Il arrête les passans au coin des carrefours, il court de ville en ville au-devant des spectateurs. Où trouve-t-on des acteurs pour suffire à tant de spectacles ? Sont-ce de pauvres hères obligés de se vendre corps et ame à un spéculateur, de débiter à contre-cœur leur gaieté factice ? Point du tout. Ce sont les maîtres de la société, les privilégiés de la fortune, des prêtres, des magistrats, de bons bourgeois, la jeune cléricature, espoir de l’église et du barreau. Tous quittent leurs affaires, apprennent de longs rôles, s’affublent à leurs frais, gambadent sur les tréteaux pour divertir le menu peuple qui fait galerie. On évalue à trois mille le nombre des comédiens qui desservent aujourd’hui la scène française. L’homme qui connaît le mieux l’ancienne France, M. Monteil, ne craint pas d’affirmer qu’au XVe siècle cinq à six mille personnes de diverses classes paraissaient sur les théâtres publics. On parle de l’activité de nos directeurs quand ils ont mis en scène cinq actes qui se jouent en trois heures : qu’ils osent se comparer aux maîtres des mystères, obligés de réunir quatre à cinq cents personnes pour jouer des pièces qui duraient parfois des semaines entières, à l’exception d’un entr’acte de midi à deux heures, accordé aux spectateurs pour le temps de leurs repas et aux acteurs pour reprendre haleine. Il fallait engager de pieux ecclésiastiques pour représenter Dieu et les saints, de hardis soudards pour Satan et sa diabolique escorte, des gens de robe pour les personnages de distinction, des bourgeois, des artisans pour le populaire, et pour les rôles de femmes de blonds écoliers à mine joufflue et de fine taille. Que de soins, de dépenses, de dévouement pour équiper et discipliner cette armée de comédiens ! mais aussi quel succès ! quelle ardente curiosité ! quel religieux silence dans la foule pressée autour des échafauds ! Ne nous y trompons pas ; cet empressement est moins un symptôme de ferveur religieuse que l’effet d’un goût pour les spectacles presque général à cette époque. Pour huit dix grandes confréries vouées en France à la représentation des pièces saintes, on eût rencontré dans