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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

d’avoir si long-temps prolongé votre veille. Nous aurions dû nous rappeler que vous avez besoin de repos ; mais nous étions si heureux de vous voir et si ravis de vous entendre ! Pardonnez une indiscrétion qui n’a d’autre excuse que le charme de vos récits.

— Dormez bien, monsieur, dit le marquis ; dix heures de sommeil vous remettront de vos fatigues. Demain, au saut du lit, nous irons battre nos bruyères et tirer quelques lapereaux. Vous devez aimer la chasse : elle est l’image de la guerre.

— Monsieur, dit Mlle  de La Seiglière encore toute tremblante, n’oubliez pas, que vous êtes chez vous d’abord, puis, chez des amis qui se feront une joie autant qu’un devoir de guérir votre cœur, et d’effacer en lui jusqu’au souvenir de tant de mauvais jours. Mon père essaiera de vous rendre l’affection de celui que vous avez perdu, et moi, si vous le voulez, je serai pour vous une sœur.

— Si vous aimez la chasse, s’écria le marquis, je vous en promets de royales.

— D’impériales même, dit la baronne en l’interrompant.

— Oui, reprit te marquis, d’impériales. Chasse à pied ! chasse à courre ! chasse au lévrier ! chasse aux chiens courans ! Vive Dieu ! si vous traitez les renards comme les Autrichiens, et les sangliers comme les Russes, je plains les hôtes de nos bois.

— J’espère bien, monsieur, ajouta Mme  de Vaubert, avoir le plaisir de vous recevoir souvent dans mon petit manoir. Votre digne père, qui m’honorait de son amitié, se plaisait à ma table et à mon foyer. Venez parler de lui à cette même place où tant de fois il a parlé de vous.

— Allons, monsieur Bernard, bonsoir et bonne nuit ! dit le marquis en le saluant de la main, et que monsieur votre père vous envoie de là-haut de doux rêves !

— Adieu ! monsieur Bernard, reprit la baronne avec un affectueux sourire ; endormez-vous dans la pensée que vous n’êtes plus seul au monde !

— À demain, monsieur Bernard, dit à son tour Hélène ; c’est le mot que votre excellent père et moi nous échangions le soir en nous quittant.

Ébloui, étourdi, entraîné, fasciné, enlacé, pris par tous les bouts, Bernard fit un geste qui voulait dire : à la grâce de Dieu ! puis, après s’être incliné respectueusement devant Mlle  de la Seiglière, il sortit, précédé de Germain qui le conduisit dans l’appartement le plus riche et le plus somptueux du château. C’était en effet celui que le pauvre