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avocats civils ont été forcés de dresser en vingt-quatre heures ; bien souvent un fiscal qui ne sait pas même écrire, comme dans l’affaire de M. Pascual Madoz, toutes les règles de la procédure enfin méconnues, ou, pour mieux dire, ouvertement violées : en faut-il davantage pour démontrer que la réforme judiciaire doit commencer par celle des conseils, de guerre ? Et cependant, quand on ne fusille pas sur la seule constatation de l’identité, en vertu du bando de quelque capitaine-général, ce sont les conseils de guerre qui dominent l’Espagne ; c’est l’autorité militaire, en un mot, qui règne de l’un à l’autre bout du royaume, sans influence rivale, politique ou civile, qui la puisse le moins du monde tempérer. De bonne foi, M. Martinez de la Rosa, qui a long-temps étudié en France et en Angleterre les mœurs constitutionnelles, M. Pidal, M. Mon, qui croient à l’avenir du régime libéral. dans leur pays, le général Narvaez, qui doit se souvenir qu’Espartero s’est perdu par l’exagération du régime militaire, pensent-ils qu’une telle situation se puisse long-temps, maintenir ?

Non, évidemment, et ce n’est pas seulement la presse libérale, en Europe, ou l’opinion publique, dans la Péninsule même, qui conseille au cabinet Narvaez de revenir le plus tôt possible à une autre politique ; tout récemment, ses plus dévoués amis se sont alarmés des allures qu’il a cru devoir prendre à Madrid et dans les provinces ; leurs inquiétudes se sont manifestées assez énergiquement pur susciter une crise ministérielle, qui peut-être n’a pas encore tout-à-fait cessé. Le congrès venait de voter le projet de réforme, et l’on pouvait déjà considérer ce projet comme la loi fondamentale de l’état, car, dans les circonstances actuelles, l’approbation du sénat et la sanction royale ne sont et ne peuvent être que de simples formalités. Le lendemain du vote qui a doté l’Espagne d’une charte nouvelle, M. Mon avait lu au congrès des projets d’un intérêt capital qui doivent convertir en lois toutes les mesures de réduction ou de conversion qu’il a prises à l’égard de la dette publique, et assurer au clergé une sorte de constitution civile. Immédiatement après M. Mon, M. Pidal était monté à la tribune pour présenter le projet en vertu duquel le gouvernement pourra décréter les lois organiques, administratives, municipales ; ce projet, déjà voté par le sénat, avait été immédiatement soumis aux délibérations du congrès. Pour résumer la situation, le ministère ne se bornait pas à solliciter l’approbation de quelques-uns de ses actes, qui à divers degrés ont engagé la fortune nationale ; il demandait l’autorisation de réorganiser l’Espagne à sa guise, ni plus ni moins, le droit de l’administrer et de la gouverner, d’ici à bien long-temps, comme il lui pourra convenir ; le pouvoir exécutif, en un mot, demandait au pouvoir législatif de s’annuler lui-même sur des questions capitales où le présent et l’avenir de la Péninsule se trouvent complètement engagés. Ce que le ministère sollicitait du congrès, le ministère l’a obtenu ; le congrès vient d’adopter à l’unanimité le projet qui l’autorise décréter les lois organiques ; mais avant d’accorder ce vote de confiance, le congrès a un instant hésité, et nous le comprenons sans peine comment investir d’une si grande autorité un cabinet qui, pour