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rivales. Une seule province, celle de Frise, ayant résisté par esprit national à la manie de placer ses capitaux à l’étranger, fut forcée, pour les utiliser, d’augmenter sa marine marchande, de sorte qu’en 1778 on y comptait 2,000 vaisseaux de commerce, appartenant à des particuliers. Dans les autres provinces, l’agriculture, l’industrie, la navigation, négligées par les riches qui vivaient nonchalamment de leurs revenus, laissèrent sans ressources les classes ouvrières. Vers la fin du siècle, la population hollandaise, si renommée anciennement pour sa prodigieuse activité, n’était plus, dit un historien, qu’un peuple de rentiers et de mendians. A en juger par un tableau du prix courant des actions cotées à la bourse d’Amsterdam, en date de 1783, le taux moyen de l’intérêt était remonté jusqu’à 5 pour 100, et le sceptre du commerce avait été ravi par l’Angleterre. Ce dernier pays ne présente-t-il pas à son tour quelques symptômes d’un phénomène de même nature ? Tandis que la population inférieure s’abrutit dans la misère, les capitaux anglais se répandent avec avantage sur les marchés étrangers : ils s’y convertissent en chemins de fer et en fabriques, et favorisent ainsi le soulèvement de l’Europe contre la souveraineté industrielle de la nation britannique.

Nous croyons, avec M. Michel Chevalier, que dans l’état actuel des sociétés, l’organisation du crédit est le plus pressant intérêt dont puissent se préoccuper les économistes et les hommes d’état ; c’est aussi, de tous les problèmes économiques, le plus complexe et le plus difficile à résoudre. Le crédit, on ne saurait trop le répéter, n’est qu’un excitant dont il faut savoir user avec circonspection. Gardons-nous de contracter cette fièvre dangereuse qu’on appelle en Amérique la bancomanie ; notre constitution vieillie n’y résisterait pas, comme celle de la jeune république du Nouveau-Monde. Généraliser autant que possible les secours du crédit, découvrir les points sur lesquels il doit être dirigé dans un intérêt commun, et même, au prix de quelques sacrifices supportés par l’état, déterminer dans quelle proportion la richesse acquise peut être mobilisée avec avantage, rechercher surtout jusqu’à quel point un avilissement de l’argent par la profusion des papiers de crédit, une circulation précipitée par des moyens factices, tournent au préjudice des classes pauvres en faussant l’équilibre nécessaire entre le prix des alimens et le taux de la main-d’œuvre, tels sont les points qui doivent exercer la sagacité des théoriciens. Au reste, la déclaration de principes qu’a faite M. Michel Chevalier avant l’entrer d’une manière spéciale dans cet ordre d’études nous semble digne de sympathie. : « Je crois, a-t-il dit dans ses Lettres sur l’Amérique,