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fait une muette prière, et reprit avec plus de calme, mais la rougeur sur le front :

— Écoutez-moi, Frédéric. Vous m’aimez avec toute la pureté, toute la foi d’un premier amour. Jamais vous ne m’avez interrogée sur mon passé, et pourtant il renferme un secret qui me rend indigne de vous. J’espérais que le temps, un autre amour, vous guériraient ; que vous dirai-je ? ma faiblesse surtout m’empêcha toujours de rompre le silence et de vous éloigner, comme je l’aurais dû faire. Quelquefois je croyais m’être abusée et que vous ne m’aimiez pas ; aujourd’hui, je suis sûre de votre attachement, et j’en suis fière ; mais je dois vous arrêter. Vous penserez ensuite combien il faut que je vous aime pour vous faire l’aveu que vous allez entendre… — Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle en sanglotant, qu’il me serve d’expiation, car il brise à jamais mon bonheur sur la terre ! Un mot vous dira tout, Frédéric : — ce pauvre enfant que je pleure tous les jours n’est pas le gage d’un hymen rompu ; c’est le fruit d’une faute. Épargnez-moi de pénibles détails. Je pourrais essayer de me justifier ; mais je ne le veux pas, dit-elle avec fierté et en relevant sa tête qu’elle avait tenue baissée jusque-là. Ma jeunesse, l’insouciance fatale de mon père entraîné par la passion du jeu, mon extrême innocence même, complice involontaire, mon ignorance du mal, ma naïve crédulité, tout viendrait peut-être à mon aide pour m’absoudre, ou du moins m’obtenir quelque indulgence ; mais moi, Frédéric, je ne me suis point fait illusion, et je crois que le danger surmonté prouve seul la vertu. Oh ! qu’il m’en coûte de perdre de votre estime ! que je la rachèterais, si je pouvais, au prix de tout mon sang ! Laissez-moi seulement, c’est mon unique consolation, laissez-moi vous dire que je n’ai jamais aimé que vous. Violence ou persuasion, j’ai cédé, c’est là ma faute : mais l’auteur de ma chute, je ne l’ai pas même détesté, je l’ai méprisé, voilà tout. — Maintenant je finis. Je ne voulus pas porter ma honte sous le toit de mon père ; prétextant un voyage chez des parens, je partis, Frédéric ; je partis seule, sans ressources, avec mon enfant, qui ne devait pas souffrir de la faute de sa mère. Au lieu de le cacher ou de le rejeter, je résolus d’endurer pour lui toutes les privations et d’offrir en expiation mes peines à Dieu. Frédéric, ma mère, pieuse femme, est morte en me pardonnant ; mon père m’a béni, en maudissant sa négligence ; moi seule, je ne me suis point pardonné. J’ai recueilli ma sœur ; mes soins pour elle ne sont pas un mérite ; je voudrais avoir plus de souffrances à supporter pour me sentir moins coupable. Elle-même, pau-