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HENRIETTE.

elle, j’aime à vous voir. — Elle lui prit la main. — Autrefois, je tenais ainsi mon petit bon ami par la main, et nous allions dans les prairies où les ruisseaux nous racontaient tout ce qu’ils avaient vu.

Henriette paraissait embarrassée ; Frédéric ne savait quel parti prendre. Ils restèrent quelques instans silencieux.

— Oh ! les beaux fruits, ma sœur, dit Marceline. Ne peux-tu m’en cueillir ?

— Mais, mon enfant, je n’en vois pas, tu te trompes, dit doucement Henriette.

— Tu ne m’aimes donc plus, que tu me refuses ? reprit tristement la folle. Pourquoi ne vas-tu pas…

— J’y vais, s’écria Frédéric, heureux d’une occasion de prouver son zèle, et il sortit précipitamment. Quelques minutes après, il posa sur le lit de Marceline une corbeille de beaux fruits. Elle les regarda avec une joie enfantine, et elle lui dit : — Vous ne nous quitterez plus ; n’est-ce pas, sœur, qu’il restera avec nous ?

— Je reviendrai, interrompit Frédéric ; si vous le permettez, ajouta-t-il plus bas, en s’adressant à Henriette.

— Elle est malade, et je n’ose la contrarier, répondit-elle en rougissant.

V.

Ce fut ainsi que Frédéric se trouva admis dans le petit intérieur d’Henriette. Sa bonté pour sa sœur, ses attentions délicates, l’inquiétude qu’il avait montrée, avaient touché le cœur de celle-ci. D’abord elle ne l’avait reçu qu’avec défiance, se rappelant la déclaration des fleurs. Bientôt elle le connut si simple, si loin de toute idée offensante pour elle, qu’elle s’habitua insensiblement a le traiter en ami. Pour Frédéric, depuis qu’il la voyait tous les jours, il croyait n’éprouver qu’une amitié dévouée au lieu des transports exaltés qui l’avaient agité. S’il se fût sérieusement interrogé lui-même, il aurait vu, au contraire, le progrès que l’amour avait fait dans son cœur en mettant le vrai à la place du romanesque. Il se sentait vivre de la vie qu’il avait si ardemment souhaitée ; ses pensées avaient un but, ses actions un intérêt. Il ne rêvait qu’aux moyens de venir en aide à cette pauvreté discrète sans éveiller la fierté qui la gardait ; mais c’était en vain. Ses ruses les mieux déguisées étaient déjouées naturellement, simplement, et même sans qu’on eût l’air de les avoir pénétrées. Cependant, si elle ne paraissait pas les remarquer, Henriette les comptait avec attendris-