— Souffre-t-elle beaucoup ? demanda Frédéric.
— J’espère que non, répondit Henriette, car elle est tranquille. Mais, depuis hier, elle n’a pas dit une parole. Cette secousse semble avoir rendu un peu de calme à ses idées. Je préfère la voir silencieuse ainsi ; quand elle parle beaucoup, je crains toujours quelque crise.
— Pauvre enfant ! dit Frédéric avec compassion ; si jeune !… Il s’arrêta, car il vit deux grosses larmes tomber des yeux d’Henriette sur son ouvrage qu’elle avait repris. Il la contempla quelque temps en silence, et ne savait plus comment reprendre l’entretien. En ce moment, on frappa à la porte. C’était le médecin. Il trouva la malade aussi bien que possible. — Depuis quand a-t-elle perdu la raison ? demanda-t-il à Henriette.
— Hélas monsieur, répondit-elle, dès l’enfance, ma sœur a montré une ame faible et que la moindre émotion troublait profondément. Aux changemens de saisons, ou par les temps orageux, elle était en proie à une grande exaltation ; cela nous faisait sourire. Mais notre fortune s’est écroulée, nous avons perdu notre père et notre mère à peu d’intervalle. Ces malheurs répétés ont brisé la raison fragile de ma sœur. Du reste, sa folie est douce et a quelque chose de pur et de poétique comme son ame. Tantôt elle se croit fleur, et se tourne vers le soleil ; tantôt elle est papillon, et veut voltiger par les prés ; mais son idée constante est mon enfant. Dès qu’il paraît, elle sourit ; si elle reste quelque temps sans le voir, elle s’inquiète, s’attriste et le demande. Elle a, ajouta-t-elle en rougissant, une singulière idée, véritable rêve de folie ; elle dit que c’est le petit enfant Jésus.
— Et vous la mère pleine de graces, dit galamment le médecin. Frédéric s’était contenté de le penser. Henriette avait repris son ouvrage et travaillait avec une extrême attention.
— Mais, reprit le médecin, cette folie peut n’être pas sans remède. On devrait essayer ; peut-être même, en flattant ses idées… N’a-t-on jamais rien tenté ?
— Nous sommes pauvres, dit Henriette avec tristesse et dignité.
— La maladie, la pauvreté, sont deux portes du ciel, dit le médecin, qui avait autant de bonté que d’amour de la science. Me permettrez-vous de revenir ?
— Oh ! monsieur ! dit Henriette ; l’émotion l’empêcha d’achever.
— Je suis votre voisin, reprit-il avec bienveillance ; vous voyez que ce ne sera pas pour moi une peine.
Frédéric voulait le suivre ; mais la malade le retint : — Restez, dit-