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Pascal institue le calcul célèbre, auquel il applique la règle des paris. En voici la conclusion : aux yeux de la raison, croire ou ne pas croire à Dieu, le pour et le contre, et, comme parle Pascal, à ce jeu croix ou pile, est également indifférent ; mais aux yeux de l’intérêt, la différence est infinie de l’un à l’autre, puisque dans une hypothèse il y a l’infini à gagner. « Cela est démonstratif, dit Pascal ; et, si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est. »

Mais cette belle démonstration est au fond si loin de le satisfaire, qu’après avoir ainsi réduit au silence l’interlocuteur qu’il s’est donné, il ne peut s’empêcher de lui laisser dire :

« Oui, je le confesse, je l’avoue ; mais encore n’y a-t-il pas moyen de voir le dessous du jeu[1] ? » Et pour apaiser cette curiosité rebelle, à quoi Pascal la renvoie-t-il ? À l’Écriture sainte, à la religion chrétienne.

Fort bien, lui répond en gémissant l’interlocuteur abattu et non convaincu ; « mais je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse[2] ? »

Ce qu’il faut faire ? Suivre mon exemple ; « prendre de l’eau bénite, faire dire des messes, etc. Naturellement, cela vous fera croire et vous abêtira[3] ?

« Mais c’est ce que je crains. — Et pourquoi ? Qu’avez-vous à perdre[4] ? »

Nous avons le premier découvert et publié ce morceau accablant, résumé fidèle du livre entier des Pensées. Dès qu’il parut, il troubla un moment les plus hardis partisans de Pascal ; puis on s’est mis à le tordre et à le subtiliser de tant de manières qu’on a fini par y découvrir le plus beau sens du monde. Il n’en a, il ne peut en avoir qu’un seul : il faut renoncer à la raison ; il faut, suivant un précepte de Pascal, qui est très clair maintenant, se faire machine, recourir en nous, non pas à l’esprit, mais à la machine[5], pour arriver à croire en Dieu petit à petit et par la pente insensible de l’habitude. Cela est vrai ; disons mieux : cela seul est vrai, dès qu’on cherche Dieu en partant du pyrrhonisme. Voilà toute la foi, j’entends toute la foi naturelle, que permet à Pascal sa triste philosophie ! Le maître de Pascal, le pyrrhonien Montaigne, l’avait dit avant lui : « Pour nous assagir, il nous faut abestir. » Pascal lui a emprunté et le mot et la pensée.

  1. Des Pensées de Pascal, p. 185 ; app., p. 270 ; man., p. 4.
  2. Ibid., p. 186 ; app., p. 270 ; man., p. 8.
  3. Ibid., p. 187 ; app., p. 272 ; man., p. 4.
  4. Ibid.,id.
  5. Ibid., p. 249 ; inan., p. 25.