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monde qui ne soient pas pyrrhoniens, afin de montrer que l’homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu’il est capable de croire qu’il n’est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable »

En résumé, selon Pascal, il n’y a point de certitude naturelle pour l’homme, et pas plus dans le sentiment que dans la raison. Son origine et sa nature le condamnent à l’incertitude. La révélation et la grace peuvent seules l’affranchir de cette loi.

La preuve péremptoire que le scepticisme est le principe du livre des Pensées, c’est qu’il y porte toutes ses conséquences, et singulièrement en morale et en politique.

En morale, Pascal, n’admet point de justice naturelle. Ce que nous appelons ainsi n’est qu’un effet de la coutume et de la mode. Est-ce pascal, est-ce Montaigne qui a écrit les pages suivantes :

« Qu’est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ? dans les enfans, ceux qu’ils ont reçus de la coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux.

« Les pères craignent que l’amour naturel des enfans ne s’efface. Qu’elle est donc cette nature sujette à être effacée ?… J’ai bien peur que la nature ne soit elle-même une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.

Comme la mode fait l’agrément, aussi fait-elle la justice. Si l’homme connaissait réellement la justice, il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de celles qui sont parmi les hommes : que chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait assujéti tous les peuples ; et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et des Allemands : on la verrait plantée par tous les états du monde et dans tous les temps.

« Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes, mais qu’elle réside dans les lois naturelles communes à tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines, en avait rencontré au moins une qui fût universelle. La plaisanterie est telle que le caprice des hommes s’est si bien diversifié qu’il n’y en a point[1].

« On ne voit presque rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité. En peu d’années de possession, les lois fondamentales changent. Le droit

  1. Ibid. p. 222 ; man., p. 69 et 365.