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autres, elle est toujours la raison humaine : on peut même dire que sa puissance naturelle y paraît davantage. En reproduisant cette théorie aussi vieille que la philosophie et qu’il a l’air de croire nouvelle, Pascal la fausse un peu par les formes qu’il lui prête. N’en déplaise au grand géomètre et à ce maître dans l’art de parler et d’écrire, peut-on approuver ce singulier langage ? Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace… Pourquoi ces façons de parler si extraordinaires pour dire avec deux ou trois cents philosophes la chose du monde la plus commune, à savoir, que la notion de l’étendue et de l’espace n’est pas une acquisition du raisonnement, mais une conception directe de la raison, de l’entendement, de l’intelligence, comme il plaira de l’appeler, entrant en exercice à la suite de la sensation ?

Pascal fait pis : il tourne contre elle-même la théorie des vérités premières et indémontrables, à l’aide d’une sorte de jeu de mots peu digne de son génie. Ce que tout le monde appelle le raisonnement, il sied à Pascal de l’appeler la raison ; à la bonne heure, si, conformément aux règles de la définition qu’il a lui-même établies, à l’époque de sa vie où il s’occupait de géométrie et de physique, il prend soin d’en avertir ; mais il n’en avertit nullement, et voici comment il argumente à son aise. Il s’adresse au raisonnement qu’il nomme la raison, et l’interpelle de justifier les principes des connaissances humaines. Le raisonnement ne le peut, car sa fonction n’est pas de démontrer les principes dont il part. Et sur cela Pascal le foudroie : « Humiliez-vous, raison impuissante, taisez-vous, nature imbécile. » Mais si à la place du raisonnement, qui seul ici est vraiment en cause, la raison prenait la parole, elle rappellera à Pascal sa théorie oubliée, et, au nom de cette théorie, elle lui répondrait qu’elle est si peu impuissante, qu’elle a le pouvoir merveilleux de nous révéler la vérité sans le secours d’aucun raisonnement ; elle répondrait qu’elle est de sa nature si peu imbécile, qu’elle s’élève par la force qui est en elle jusqu’à ces vérités premières et éternelles que le scepticisme peut renier du bout des lèvres, mais qu’en réalité il ne peut pas ne pas admettre, et que ses argumens mêmes contiennent ou supposent. Elle pourrait dire à Pascal : « Ou vous abandonnez la théorie que vous exposiez tout à l’heure, ou vous la maintenez ; si vous l’abandonnez, quel paradoxe, à votre tour, êtes-vous donc à vous-même ! Si vous la maintenez ; abjurez donc, pour être fidèle à vos propres maximes, vos dédains irréfléchis, et honorez cette lumière à la fois humaine et divine, qui éclaire tout homme à sa venue en ce monde, et découvre à