les lignes, Pascal respire le scepticisme, il en est plein, il en proclame le principe, il en accepte toutes les conséquences, et il le pousse d’abord à son dernier terme, qui est le mépris avoué et presque la haine de toute philosophie.
Oui, Pascal est un ennemi déclaré de la philosophie : il n’y croit ni beaucoup ni peu ; il la rejette absolument.
Écoutons-le, non dans l’écho affaibli de l’édition de Port-Royal et de Bossut, mais dans son propre manuscrit, témoin incorruptible de sa véritable pensée.
À la suite de la fameuse et si injuste tirade contre Descartes[1], Pascal a écrit ces mots : « Nous n’estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine. » Et ailleurs : « Se moquer de la philosophie ; c’est vraiment philosopher[2]. »
Ce langage est-il assez clair et assez absolu ? Ce n’est pas ici telle ou telle école philosophique qui est condamnée, c’est toute étude philosophique ; c’est la philosophie elle-même. Idéalistes ou empiristes, disciples de Platon ou d’Aristote, de Locke ou de Descartes, de Reid ou de Kant, qui que vous soyez, si vous êtes philosophes, c’est à vous tous que Pascal déclare la guerre.
Aussi, dans l’histoire entière de la philosophie, Pascal n’absout que le scepticisme. « Pyrrhonisme. Le pyrrhonisme est le vrai[3]. » Comprenez bien cette sentence décisive. Pascal ne dit pas : Il y a du vrai dans le pyrrhonisme, mais le pyrrhonisme est le vrai. Et le pyrrhonisme, ce n’est pas le doute sur tel ou tel point de la connaissance humaine, c’est le doute universel et absolu, c’est la négation radicale de tout pouvoir naturel de connaître. Pascal explique parfaitement sa pensée : « Le pyrrhonisme est le vrai, car, après tout, les hommes, avant Jésus-Christ, ne savaient où ils en étaient, ni s’ils étaient grands ou petits ; et ceux qui ont dit l’un ou l’autre n’en savaient rien, et devinaient sans raison et par hasard, et même ils erraient toujours en excluant l’un ou l’autre. »
Ainsi, avant Jésus-Christ, le seul sage dans le monde, ce n’est ni Pythagore ni Anaxagore, ni Platon ni Aristote, ni Zénon ni Épicure, ni même vous, ô Socrate ! qui êtes mort pour la cause de la vérité et de Dieu ; non, le seul sage, c’est Pyrrhon ; comme, depuis Jé-