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utilité. Il sert à sa manière la philosophie, car il l’avertit de ses écarts, et rappelle à la raison ses imperfections et ses limites. Il peut tomber sur tel résultat, sur tel procédé, sur tel principe, même sur tel ordre de connaissances ; mais aussitôt qu’il s’en prend à la faculté de connaître, s’il conteste à la raison son pouvoir et ses droits, dès-là le doute n’est plus le doute : c’est le scepticisme. Le doute ne fuit pas la vérité, il la cherche, il l’espère, et c’est pour mieux l’atteindre qu’il surveille et ralentit les démarches souvent imprudentes de la raison. Le scepticisme ne cherche point la vérité, il l’a trouvée, et cette vérité, c’est qu’il n’y en a point et, qu’il ne peut y en avoir pour l’homme. Le doute est à la philosophie un ami mal commode, souvent importun, toujours utile : le scepticisme lui est un ennemi mortel. Le doute joue en quelque sorte dans l’empire de la philosophie le rôle de l’opposition constitutionnelle dans le système représentatif ; il reconnaît le principe du gouvernement, il n’en critique que les actes, et encore dans l’intérêt même du gouvernement. Le scepticisme ressemble à une opposition qui travaillerait à la ruine de l’ordre établi, et s’efforcerait de détruire le principe même en vertu duquel elle parle. Dans les jours de péril, l’opposition constitutionnelle s’empresse de prêter son appui au gouvernement, tandis que l’autre opposition invoque les dangers et y place l’espérance de son triomphe. Ainsi quand les droits de la philosophie sont menacés, le doute, qui se sent menacé en elle, se rallie à elle, comme à son principe ; le scepticisme, au contraire, lève alors le masque et trahit ouvertement.

Le scepticisme est de deux sortes : ou bien il est sa fin à lui-même, et se repose tranquillement ’dans le néant de toute certitude ; ou bien il cache son vrai jeu, et ses plus grandes audaces ont pour ainsi dire leur dessous de cartes. Dans le sein de la philosophie, il a l’air de combattre pour la liberté illimitée de l’esprit humain contre la tyrannie de ce qu’il appelle le dogmatisme philosophique, et en réalité il conspire pour une tyrannie étrangère.

Qui ne se souvient par exemple d’avoir vu de nos jours un illustre écrivain prêcher, dans un volume de l’Essai sur l’indifférence, le plus absolu scepticisme, pour nous conduire, dans le volume suivant, au dogmatisme le plus absolu qui fut jamais ?

Reste à savoir si le scepticisme, tel que nous venons de le définir en général, est ou n’est pas dans le livre des Pensées.

Ouvrez ce livre, et vous l’y trouverez à toutes les pages, à toutes