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appréciables que dans toutes les autres architectures, y compris, nous le disons sans hésiter, l’architecture classique elle-même. L’ornementation du XIIIe siècle se distingue de celle du XIVe ou du XVe au moyen d’indications plus précises que celles qui servent à classer chronologiquement la décoration des édifices antiques : aussi est-on moins exposé à prendre pour une œuvre de saint Louis un monument sculpté sous Charles V qu’à confondre une construction du temps d’Auguste avec un édifice de l’époque des Antonins.

Mais nous ne saurions le dire trop haut, tout ce qu’on vient de lire ne s’applique à l’architecture à ogive que dans le nord de l’Europe, depuis la Loire jusqu’au Danube. Si vous sortez de ce terrain, les règles s’évanouissent, vous marchez d’exception en exception. C’est faute de s’être prémuni contre cette cause d’erreur que l’illustre critique dont nous avons cité les paroles, et beaucoup d’autres savans esprits, ont méconnu les faits les plus incontestables, et, qu’on nous permette de le dire, nié jusqu’à l’évidence. C’est le gothique du Midi, le gothique d’Italie surtout, qui leur a fait prendre le change, qui a troublé leur jugement. Sans doute ils ont raison, jamais en Italie, à aucune époque du moyen-âge, il ne s’est formé un art de bâtir qui reposât sur des principes, qui se gouvernât avec la rigoureuse précision d’un système. L’antique abâtardi n’a pas cessé d’y régner un seul jour, et n’a cédé la place qu’à l’antique régénéré. Ouverte à toutes les importations étrangères, l’Italie ne s’en est jamais approprié systématiquement aucune. L’Orient lui a transmis ses brillantes fantaisies, le Nord son ogive ; mais ces semences exotiques ont changé de nature en germant dans un sol tout sillonné de fondations romaines. Aussi qu’est-ce que l’ogive en Italie ? qu’est-ce que l’architecture qui emprunte cette forme ? Une compilation, le nom est juste, un composé des élémens les plus divers et les plus hétérogènes. Grace à la beauté des matériaux, à la poésie du climat et à un reste du génie de l’antiquité, ces œuvres bâtardes ont quelquefois l’aspect le plus séduisant. Les églises de Sienne et d’Orvieto nous éblouissent par l’élégance et l’éclat des détails ; mais l’œil a beau s’y plaire, l’esprit n’y trouve rien qui le satisfasse entièrement : il cherche vainement le principe, le régulateur qui a dirigé l’artiste, il ne voit qu’un amalgame de traditions antiques mal comprises et d’innovations avortées. Cette indécision, ce tâtonnement, excluent toute idée de système. Peu importe donc la grandeur et le charme de quelques-unes de ses œuvres, l’architecture du moyen-âge en Italie ne fut jamais qu’un art de décadence, un art sans lois, sans règle, sans méthode.