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il n’existe que trois ordres, il n’y aurait également que trois types de chaque nature d’édifices, types dont les innombrables reproductions seraient autant d’épreuves sorties d’un même moule.

Consultez les faits : voyez, non dans Vitruve, mais dans les monumens eux-mêmes, si vous trouvez cette prétendue identité. D’abord Vous verrez qu’en traversant les siècles, et surtout en passant de Grèce en Italie, ces ordres, qu’on suppose immuables, ont subi de nombreux changemens, ou plutôt de véritables transformations Mais laissons de côté cet élément de diversité ; ne comparons que des monumens dans les mêmes conditions, c’est-à-dire construits d’après un même ordre, dans un même pays, dans la même époque, et pour nous adresser au plus pur, au plus noble de tous les ordres, au dorique grec, mesurons le Parthénon et les Propylées. Ces deux monumens, qui se touchent, sont-ils calqués l’un sur l’autre ? leurs colonnes sont-elles de même hauteur relativement à leur diamètre ? Non, la différence est de près d’un demi-diamètre. Et si vous sortez d’Athènes, pour comparer à ce même Parthénon un autre chef-d’œuvre d’Ictinus, le temple de Bassoe près Phygalie, par exemple, ne vous présente-t-il pas aussi des mesures différentes et des anomalies bien autrement remarquables ? Ainsi, partout la liberté se fait jour ; les règles n’en subsistent pas moins, mais elles ne sont ni despotiques ni tracassières : elles se contentent de caractériser le style du monument par de grands traits généraux ; elles lui donnent un cachet d’unité, tout en laissant la carrière ouverte à la variété. Et qu’on ne dise pas que les diversités qu’elle tolère sont imperceptibles : les colonnes doriques ont, dans tel édifice, une hauteur à peine égale à quatre diamètres ; dans tel autre, elles en atteignent presque six, ce qui n’empêche pas que ces deux genres d’édifices soient également doriques. Leur stature, leur physionomie, diffèrent, dans leurs proportions générales sont les mêmes ; on reconnaît sur-le-champ qu’ils sont de même famille.

Il en est ainsi de l’architecture à ogive. Prenez toutes les églises bâties en France dans le XIIIe siècle, et, pour mieux déterminer l’époque, depuis 1220 jusqu’à 1280 ; restez en-deçà de la Loire, car au-delà vous trouverez un sol où le style vertical ne s’est jamais complètement acclimaté ; surtout ne confondez pas dans votre examen les parties de ces églises qui peuvent appartenir à des temps plus reculés, ou que des restaurations postérieures auront modifiées. C’est faute de ces précautions qu’on a si vite prononcé qu’il n’y avait là qu’un inextricable chaos. Si vous avez soin de ne comparer que des productions d’une même époque, d’un même pays, d’un même style, il est impossible