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SITUATION DE LA FRANCE VIS-À-VIS DE L’ANGLETERRE.

ministère qui se donne pour investi de la considération et de la confiance des hommes d’état anglais, il y a quelque chose d’illogique à montrer ainsi l’Angleterre toujours prête à en appeler contre nous et contre l’équité aux menaces et à la guerre. Si tel est le bon accord que le ministère nous procure avec l’Angleterre, entre quelles mains cet accord pourrait-il avoir pour nous de pires résultats ? On a vu précisément dans l’affaire de M. Pritchard un des plus graves inconvéniens de cette tactique. Ces paroles si risquées de sir Robert Peel qui ont envenimé la difficulté dès le début, qui l’ont grossie outre mesure, qui étaient au fond la plus grosse et la seule difficulté, ces paroles n’ont-elles pas été inspirées par l’attitude que le ministère avait prise devant les chambres à propos du désaveu de l’amiral Dupetit-Thouars ? Mais là encore n’est pas le plus grand danger. Cette habitude, devenue familière au ministère, de montrer l’Angleterre sans cesse disposée à prendre les armes, cette habitude d’évoquer à chaque instant la guerre est le seul péril grave qui menace la paix. Il n’est pas d’imprudence plus fatale et plus coupable peut-être que de se jouer ainsi de la guerre et des préoccupations qu’elle inspire : c’est par une pareille conduite que l’on s’expose à la faire éclater sans intérêt, presque sans cause, au choc des plus absurdes préjugés ou des passions les plus insensées. On trompe par-là, de la manière la plus fatale, les deux pays l’un sur l’autre : on fait croire à l’Angleterre que la guerre est une menace irrésistible et d’un succès infaillible pour venir à bout de la France ; on accoutume l’Angleterre à prodiguer cette menace ; on l’expose à se méprendre sur les moindres résistances qu’il lui arrive de rencontrer chez nous ; à la moindre opposition que ses exigences peuvent éprouver en France de la part même des hommes les plus modérés et les plus prudens, on lui fait croire que tout le monde parmi nous, sauf le cabinet, veut la guerre avec l’Angleterre. C’est ainsi qu’une irritation injustifiable, qu’une colère sans fondement, arrivent à troubler le jugement, ordinairement si calme et si circonspect, d’hommes tels que sir Robert Peel et le duc de Wellington. Je le répète, je ne sais si le cabinet est aujourd’hui sincère dans les craintes qu’il exprime sur la situation ; mais, à force de les manifester, il en a fait un véritable danger qui plane sur les rapports des deux pays, qui les sépare chaque jour plus profondément, qui les accoutume à se défier l’un de l’autre, à s’irriter l’un contre l’autre, qui les prépare à l’idée de se trouver, à un moment plus ou moins rapproché, en hostilité, en lutte réelle. On ne saurait compromettre davantage le grand intérêt de la paix, et on ne saurait le compro-