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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

face de Stamply, sur la mousse du toit, piétinaient une bande de pigeons roucouleurs. — Ma pauvre femme avait raison, s’écria le vieillard en s’arrachant à ce tableau des joies perdues, ç’a été un mauvais jour, le jour où nous avons quitté notre ferme !

Chargé d’années moins que de tristesse, il mourut deux ans après le retour du marquis, sans autre assistance que celle de Mlle  de La Seiglière, qui lui ferma les yeux. Près d’expirer, il se tourna vers elle et lui remit les lettres de son fils : « Prenez-les, lui dit-il, c’est tout ce qu’on m’a laissé, c’est tout ce qui me reste à donner. » Il s’éteignit sans regrets de la vie, et tout joyeux d’aller retrouver sa femme et son petit Bernard.

Sa mort ne laissa de vide que dans sa chambre et dans le cœur d’Hélène. Au château, on en parla durant trois jours. — Ce pauvre Stamply ! disait le marquis ; à tout prendre, c’était un brave homme. — Bien ennuyeux, soupirait Mme  de Vaubert. — Bien mal appris, ajoutait Raoul. — Bien excellent, murmurait Hélène. Ce fut là toute son oraison funèbre ; Hélène seule acquitta le tribut de larmes qu’on avait promis à sa tombe. Il est bon pourtant d’ajouter que la fin du vieux gueux souleva dans le pays l’indignation d’un parti qui commençait de poindre à l’horizon politique, comme on disait alors élégamment. Hypocrite, envieux, surtout moins libéral que son nom ne semblait l’annoncer, ce parti, qui se composait, en province, d’avocats bavards et médiocres, de bourgeois importans et rognes, fit un héros de Stamply mort, après l’avoir outragé vivant. Ce n’était pas qu’on se souciât de lui le moins du monde ; mais on détestait la noblesse. On le mit sur un piédestal, on lui décerna les palmes du martyre, sans se douter à quel point le pauvre homme les avait méritées. Bref, on accusa hautement Mme  de Vaubert de captation, et le marquis d’ingratitude ; et c’est ainsi qu’une fois, par hasard, ces petites passions et ces petites haines rencontrèrent, sans la chercher peut-être, la vérité sur leur chemin.

Cependant on touchait à l’époque fixée pour le mariage d’Hélène et de Raoul. Cette époque, encore trop éloignée au gré de M. de Vaubert, Mlle  de La Seiglière ne la souhaitait ni ne la redoutait ; elle la voyait approcher sans impatience, mais aussi sans effroi. Quoi qu’il en coûte, on peut même affirmer qu’elle en ressentait moins de tristesse que de joie. Ses entretiens avec Stamply, la lecture des lettres de Bernard, qu’elle s’était surprise plus d’une fois à relire après la mort de son vieux camarade, l’avaient bien amenée à de vagues