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qu’il n’y a pas de temps à perdre ; ces messieurs m’ont l’air très résolus. J’ignorais vos intentions, qui sont très flatteuses ; mais vous avez là de singuliers amis. »

Cet interlocuteur de New-Forest est un nouveau personnage que lady Fullerton nous amène ; ici encore, elle touche à un monde qu’elle ne connaît pas, et elle a tort : elle ne sait pas le peindre. Cet homme, cousin de la femme de chambre, mauvais sujet de bas étage, quelque déporté de Botany-Bay, s’est amouraché d’Alice ; il s’appelle Brandon, et n’ignore aucun des plans de mistriss Tracy ; aussi traverse-t-il de toutes ses forces un mariage qui va lui enlever celle qu’il aime. Il a pris Rose pour la jeune Ellen, et lui a fait cette algarade ridicule, un jour sans doute qu’il avait bu dès le matin. Quoi qu’il en soit, le redoutable secret d’Ellen se trouve entre les mains de trois personnes, de Lovell, de Brandon et de la cousine de ce dernier, mistriss Tracy.

L’amour de Lovell pour Ellen augmente ; oubliant son engagement envers Alice ou le méprisant, il se déclare, menace, prie, se désespère, et se voit repoussé par Ellen. Dans son dépit, il épouse Alice ; Ellen se marie à Édouard : double mariage qui, loin de terminer le roman, complique le drame, l’assombrit, l’enflamme, et accroît les angoisses de chacun. D’un côté, le mariage sans amour ; de l’autre, un mariage d’inclination empoisonné par un souvenir secret qui pèse et déchire ; c’était fort beau à peindre ; lady Fullerton n’a rempli que la plus difficile moitié du cadre, la seconde. Ellen, sûre d’être aimée, craint son mari, elle sait que le plus léger souffle pourrait ternir ou affaiblir cette affection fondée sur l’estime. Cependant Lovell, en vain marié, dédaigne la froide Alice, s’attache aux pas de la jeune femme qui l’a repoussé, avive son anxiété, la force à s’occuper de lui, exploite les terreurs d’une ame de vingt ans et les scrupules d’une ame religieuse, et la contraint de le rappeler chaque jour près d’elle pour la défendre contre mistriss Tracy et Brandon, qui, voulant de l’argent sans doute, assiègent l’hôtel de lettres anonymes et de hideuses menaces. L’obstacle enflamme la passion de Lovell, l’incendie s’allume jusqu’au délire chez un homme de sa trempe, la crainte nerveuse d’une femme élevée comme l’a été Ellen s’accroît aussi ; le progrès fatal de cette terreur toujours frémissante, et du mal physique qu’elle porte dans une organisation fragile, l’espoir secret et violent qui se forme chez Lovell, les ombrages grandissans d’Édouard, — cette peinture est terrible et de l’effet le plus touchant.

Mariée à Lovell, qui la dédaigne, Alice, au milieu de ce drame,