Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gothique en avait évidé les pierres les plus antiques ; la lourde copie des colonnades du Parthénon s’était installée sur les degrés du péristyle, bâti vers la fin du XVIIIe siècle, et l’on y admirait çà et là les féeries de la renaissance, mêlées aux traces du goût hasardé qui régna sous Élizabeth. Tant d’incohérence ne déplaisait pas ; tout était si bien conservé, les rides des vieilles sculptures étaient si nettes et si propres, la variété même des ornemens offrait une si piquante originalité, que l’on s’arrêtait rêveur ; on s’étonnait d’aimer ce mélange baroque de toutes les époques et de tous les styles. Le calme d’une vie réglée et élégante, héréditaire chez les générations représentées par ces générations de pierres neuves et vermoulues, les traces d’un ordre constant, jointes à l’imprévu et au caprice de l’ensemble, éveillaient à la fois les deux sentimens les plus charmans pour les ames délicates, le sentiment de l’ordre moral et celui de la grace poétique.

C’est là, dans ce manoir, que l’auteur du nouveau roman anglais dont nous avons à parler, livre remarquable à plusieurs égards, a placé la scène de sa touchante histoire. Elle a ému Londres tout récemment, et ce n’est pas là un honneur médiocre, au milieu de tant de créations que l’industrie nouvelle met en vogue, et dans une stagnation aussi complète de la curiosité intellectuelle. L’auteur est une femme du monde et du plus grand monde, lady Fullerton, une des filles de lord Granville, l’ancien ambassadeur en France ; les genres de mérite spécial ainsi que les fautes du livre s’expliquent aisément par cette origine élevée. On gravit, en le lisant, les hauteurs poétiques et même mystiques de ce monde réservé ; ce qui est charmant, c’est que, malgré la hauteur, on y respire une atmosphère d’émotion féminine puissante et vraie, toute déliée qu’elle soit.

Nous voudrions traiter ce livre comme il le mérite, et nous mettrons un moment de côté les instrumens ordinaires de la critique, — nous déposerons le microscope, le scalpel, les balances esthétiques. En fait d’œuvres qui s’adressent directement à l’émotion, le mieux est de respirer la fleur avant d’en effeuiller la corolle, de suivre le cours du récit, de vivre avec les personnages, et de se laisser attendrir ou échauffer de leurs passions. Quelquefois, en redisant cette histoire, il faudra bien expliquer un peu les détails de mœurs que lady Fullerton n’a pas éclairés d’une lumière vive, ou creuser des caractères qui sont restés à l’état d’ébauche sous sa douce main de femme du monde, ou mettre en relief les secrètes combinaisons qui ont présidé à son travail ; mais, en définitive, nous serons très fidèle au fonds