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espèce on rapporte, comme variétés, les sciolti de Cesarotti et ceux même, si perfectionnés, de Monti ; dans la seconde se rangent ceux d’Alfieri, de Foscolo, de Manzoni. On me fait remarquer que ceux de Leopardi, en se rattachant à cette dernière école pour la netteté, paraissent avoir gardé de la facilité de l’autre : les connaisseurs diront le degré exact et à quel point ils les jugent bien frappés.

La rime joue d’ailleurs un rôle très savant et compliqué dans les couplets des canzones de Leopardi ; elle reparaît de distance en distance et correspond par intervalles calculés, comme pour mettre un frein à toute dispersion. Elle fait bien l’effet de ces vases d’airain artistement placés chez les anciens dans leurs amphithéâtres sonores, et qui renvoyaient à temps la voix aux cadences principales. Qu’il nous suffise de signaler cette science de structure et d’harmonie dans les strophes de Leopardi, en réponse à ceux qui croiraient encore qu’il a dédaigné la rime.

C’est aux environs de l’année 1820, et probablement avant son premier voyage à Rome, que dut s’opérer un changement complet dans les croyances intimes de Leopardi : il passa de la première soumission de son enfance à une incrédulité raisonnée et invincible, qui s’étendait non seulement aux dogmes de la révélation, mais encore aux doctrines dites de la religion naturelle. On a cherché à expliquer par des circonstances accidentelles cette révolution morale dans un homme d’une pensée supérieure et d’une sensibilité exquise, comme si l’esprit humain, quand il s’élève et que l’orage du cœur s’en mêle, avait un si grand nombre de chances entre les solutions. Leopardi, sous plus d’un aspect, semblait primitivement destiné par la nature à la force, à l’action, à la beauté virile : le feu de son regard, son accent vibrant, le timbre pénétrant de sa parole, une sorte de fascination involontaire qui s’exerçait d’elle-même sur ceux qui l’approchaient, et dont la nature a fait l’une des prérogatives du génie, tout semblait le convier à l’expansion de la vie, au charme des relations partagées. Mais de bonne heure son organisation délicate s’altéra, son corps frêle ne réussit point à triompher du travail de la puberté ; avant même que sa santé fût totalement perdue, une inégalité d’épaule se prononça, et on a cherché à expliquer en lui par un douloureux ressentiment cette amertume incurable qui se répandit dès-lors sur les objets et qui en toute occasion s’en prenait au sort. Byron a ressenti non moins amèrement un inconvénient beaucoup moindre. On a parlé aussi d’une autre circonstance. L’abbé Gioberti, à qui l’on doit cette justice que, chrétien et prêtre, il n’a jamais parlé de Leopardi qu’en des termes pleins de sympathie