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spécial pour venir parler ici de Leopardi, et je m’en abstiendrais en effet si le hasard ou plutôt la bienveillance ne m’avait fait arriver entre les mains des pièces manuscrites, tout-à-fait intéressantes et décisives, sur l’homme éminent dont il s’agit, et ne m’avait encouragé à une excursion inaccoutumée, pour laquelle je vais redoubler d’attention en même temps que je réclame toute indulgence.

Le comte Jacques Leopardi naquit le 29 juin 1798, à Recanati dans la marche d’Ancône ; fils aîné du comte Monaldo Leopardi et de la marquise Adélaïde Antici, des plus nobles familles du pays, il reçut une éducation soignée sous les yeux de son père. Un prêtre de l’endroit, l’abbé Sanchini, lui enseigna les premiers élémens du latin ; quant au grec, l’apprenant dès l’âge de huit ans dans la grammaire dite de Padoue,l’enfant jugea cette grammaire insuffisante, et, décidé à s’en passer, il se mit à aborder directement les textes qu’il trouvait dans la bibliothèque de son père ; il lut ainsi sans maître, et bientôt avec une surprenante facilité, les auteurs ecclésiastiques, les saints Pères, tout ce que lui fournissait en ce genre cette très riche bibliothèque domestique ; le premier débrouillement fait, il lut méthodiquement, par ordre chronologique, plume en main, et, de même que, chez Pascal avec qui on l’a comparé, le génie mathématique éclata comme par miracle, ainsi le génie philologique se fit jour merveilleusement chez le jeune Leopardi ; il devint un véritable érudit à l’âge où les autres en sont encore à répéter sur les bancs la dictée du maître.

On a souvent remarqué cette alliance, au premier abord singulière, du génie poétique et du génie philologique ; mais ici elle a cela de plus particulier encore que le poète énergique et brillant qui va nous apparaître ne finit point par la philologie, ne s’y retira point après son premier feu jeté, mais qu’il débuta par là, et que, si ses souffrances précoces ne l’avaient impérieusement détourné des études suivies, c’est de ce côté sans doute qu’il aurait, avant tout, frayé sa voie et poussé sa veine patiente.

J’ai sous les yeux tous les manuscrits, de Leopardi qui datent de cette époque, manuscrits confiés par lui-même à M. de Sinner, si capable d’en bien juger, et qui en a publié des extraits[1]. En tête d’un cahier contenant le texte correct de la Vie de Plotin, par Porphyre, avec traduction latine et commentaire, on lit cette attestation de la main du père de Leopardi :

  1. Sous ce titre : Excerpta ex schedis critieis Jacobi Leopardii comitis, dans le Rheinitches Museum ; Bonn, 1834.