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de commerce, on est allé même jusqu’à s’en servir pour payer des dettes. Dans les attaques dirigées contre les peuplades, il y a eu des morts et des blessés ; quelques tribus se sont enfoncées dans les forêts sans qu’on puisse les retrouver. Ces persécutions barbares favorisent les démarches des missionnaires anglais du Rio-Branco et de Démerari, qui n’ont pas de peine à séduire les Indiens avec lesquels ils communiquent par le Rio-Japura.

« Les chefs militaires et civils refusent de supprimer l’horrible trafic des Indiens, dont ils sont les premiers à profiter. Je le répète, non-seulement ce trafic s’est pratiqué ouvertement jusqu’ici, mais on en est venu à poursuivre et à surprendre les Indiens dans leurs propres habitations ; on les met ensuite à la chaîne pour qu’ils ne s’évadent pas, et on les vend de 16 à 20,000 reis chacun (48 à 60 fr.) à des particuliers qui ne se font aucun scrupule de les acheter : seulement on colore cette vente du titre de rançon ! »

Le rapport dont nous venons de citer quelques extraits a été remis au président de la province du Para. Ce document jette une triste lumière sur la civilisation du Brésil. En présence de ces faits déplorables, j’ai regretté vivement que l’Amazone ne fût pas restée la frontière de notre colonie de la Guyane. Une fois maîtres d’une embouchure de ce fleuve, dont les nombreux affluens établissent une communication avec le centre de l’Amérique, il nous eût été possible de rendre à la culture toutes ces terres improductives aujourd’hui. Au lieu d’organiser, d’encourager un odieux trafic, nous aurions cherché à exercer parmi les Indiens une influence bienfaisante. Un premier pas avait été fait ; les troupes françaises avaient occupé Mapa. Les réclamations de l’Angleterre, qui dans cette question s’unissait au Brésil pour s’opposer à l’extension des limites de notre Guyane, ont déterminé notre gouvernement à donner l’ordre de retirer nos troupes. Quelques mois auparavant, un capitaine anglais, examinant les travaux du fort de Mapa, avait dit à nos officiers : « Ne vous donnez pas tant de peine, avant six mois ce fort sera évacué. » Il est triste d’avoir réalisé cette prédiction. Nous espérons encore que la question des limites de la Guyane n’est pas résolue. Rétablir ces limites telles que les traités les ont déterminées sous l’empire, placer notre frontière sur la rive gauche de l’Amazone, tel doit être l’objet des réclamations constantes de la France. Ce n’est pas le vain désir d’un agrandissement de territoire qui doit nous animer, c’est le sentiment de remplir une mission bienfaisante, la volonté d’exercer une action salutaire dans un pays plus digne peut-être de notre ambition que les lointains îlots de