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civilisation serait désormais gagnée dans ce pays. Malheureusement, les violences des autorités brésiliennes ont poussé à bout les Indiens. Qu’on en juge par ces extraits d’un rapport curieux publié en 1843. Ce travail est dû à un missionnaire chargé par le gouvernement du Brésil de visiter les établissemens de l’intérieur.

« Le pire de tous les maux pour les Indiens est la présence parmi eux d’hommes qui se disent civilisés et qui ne sont que vicieux et corrompus. Les commerçans fraudent sur le poids, la mesure, la quantité, vendent pour intactes des marchandises entamées ; ils profitent de l’ignorance et de la bonne foi des Indiens pour les duper ; ils exploitent leur penchant à l’ivresse pour faciliter la prostitution ; ils sèment des intrigues dans ces populations paisibles, et si les Indiens poussés à bout ne commettent pas de nombreux assassinats, c’est que leur caractère pacifique les détourne d’user de représailles.

« Témoin oculaire, je puis affirmer que la population du plus petit village, dans les temps passés, était plus forte que celle du village le plus peuplé aujourd’hui. La comarca du Rio-Negro, qui, il y a vingt ans, comptait plus de 16,000 habitans, en a moins de 12,000 à présent ; il en est ainsi du reste de la province : les Indiens s’éloignent ; non-seulement on perd en eux des bras utiles, mais on se crée des ennemis, quand il eût été si facile, en ménageant ces peuplades, d’obtenir toutes les richesses de leurs forêts.

« Les jésuites exerçaient sur les Indiens une autorité souvent excessive, mais ils avaient su conserver la confiance des indigènes : ceux-ci ne s’éloignaient ni de leurs familles, ni de leurs villages. On les distribuait par couples mariés pour des services particuliers qui se prolongeaient deux ou trois mois ; le temps du service, une fois fixé, ne dépassait pas le terme convenu. Aujourd’hui les Indiens sont arrachés à leurs foyers ; s’il se trouve parmi eux un homme robuste et actif, tant pis pour lui ! jamais on ne le relâchera ; la fuite seule peut le réunir à sa famille. Aussi est-il impossible désormais de se confier aux Indiens.

« D’après ce que je vois pratiquer par les commandans militaires, je regarderais comme un miracle que même les Indiens civilisés ne rentrassent pas dans leurs forêts ; quant à ceux qui ne sont réunis en villages que depuis quelques années, il est impossible de les retenir.

« J’ai appris que dans le Rio-Solimoens se commettaient encore d’infâmes abus ; on surprend, on attaque les malocas des Indiens, on saisit les habitans, on les met à la chaîne, et on les transporte ensuite sur des embarcations pour les vendre. Les Indiens forment une marchandise