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jeune homme avait-il fait les premières ouvertures, que le chef de la famille enlève le tapis et lui montre des pistolets, un poignard et le fouet dont on se sert pour châtier les nègres. Il dit au prétendant surpris que, s’il persistait dans sa demande, il n’avait qu’à choisir de ces trois genres de mort, la famille des Albuquerque ne pouvant permettre qu’un homme comme lui élevât ses prétentions jusqu’à un de ses membres ! Le pauvre jeune homme, honteux et tremblant, se retira, car il savait que ceux qui le menaçaient avec une si ridicule emphase l’auraient assassiné sans pitié. Ce fait, que personne n’ignore à Fernambouc, n’a excité ni surprise ni réprobation parmi les habitans. A peine s’est-on permis de rire tout bas d’une famille qui cache sous le nom d’Albuquerque une basse origine.

En rapportant de pareils faits, on éprouve le besoin de rappeler que diverses causes ont dû exercer une action funeste sur l’état moral de la province de Fernambouc. Des révolutions successives, la division des familles, ont contribué à multiplier les assassinats ; l’indolence du gouvernement a encouragé le crime. Chaque année, le ministère constate dans son rapport au congrès le nombre des assassinats commis, et jamais on ne pense à sévir contre les meurtriers. Dans le rapport du ministre de la justice publié en 1843, je trouve les passages suivans : « Pedro Albuquerque Uchôa ayant été assassiné, les recherches de la justice furent impuissantes à obtenir la preuve de la culpabilité de l’assassin, aucun témoin n’osa déposer de la vérité le planteur qui, suivant le jugement de tous, avait ordonné l’assassinat fut poursuivi par soixante hommes armés, qui, ne l’ayant pu saisir, tuèrent son neveu, un de ses cousins et son beau-frère, mettant le feu ensuite à toutes les habitations appartenant à sa famille. » Au lieu d’un coupable la justice en avait soixante à poursuivre. On aura peine à le croire, mais le ministre de la justice déclare dans son rapport qu’aucun criminel n’a pu être arrêté. « Les assassins étant dirigés par quelques hommes riches, ceux-ci offrent un asile et une protection redoutée à tous ceux qu’ils emploient pour se faire respecter et craindre par les propriétaires voisins. Il est difficile d’admettre que ces hommes font partie d’un peuple libre et sont citoyens d’un empire constitutionnel, ils ne forment qu’une réunion de maîtres et de vassaux. Toute l’autorité politique et judiciaire dépend des seigneurs, qui ont le droit de choisir et de nommer les fonctionnaires qui leur conviennent. » La féodalité règne donc dans un état constitutionnel, et c’est le gouvernement lui-même qui constate le fait en avouant son impuissance !