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francs, vint mouiller dans la rade pendant mon séjour à Bahia ; elle ramenait six cents esclaves, ce chargement valait un million. Ainsi, en supposant que sur dix bâtimens un seul échappe, le négociant qui les a armés couvre ses dépenses ; mais c’est porter les choses au pire, et ordinairement, sur trois goëlettes expédiées pour la traite, à peine une seule est saisie, les deux autres rentrent au port avec leur chargement d’esclaves. On comprend que de si belles chances encouragent les hommes entreprenans qui veulent faire fortune à tout prix.

Si l’émancipation des nègres n’était pour l’Angleterre qu’une préoccupation morale et religieuse, on admirerait ses efforts et on louerait sa persévérance dans la poursuite de la traite. Malheureusement il est difficile, pour qui a vu Sierra-Leone, de conserver quelque illusion sur le mobile qui inspire cette croisade philanthropique. Les nègres enlevés aux bâtimens qui font la traite subissent à Sierra-Leone un esclavage plus odieux que dans toutes les autres colonies du monde. Avant d’atteindre cette île, les malheureux, entassés dans la prison flottante d’un navire, succombent le plus souvent aux souffrances d’une captivité atroce. Un médecin anglais, dont le témoignage ne peut être suspect, assure qu’il a vu périr, dans une seule nuit, vingt-cinq nègres étouffés, faute d’air et de soins, sur un de ces bâtimens armés pour la cause de l’humanité et de la civilisation. Arrivés à Sierra-Leone, les nègres sont remis, sous le nom d’engagés, à des planteurs anglais. La durée de l’engagement est de quatorze ans. Souvent leurs maîtres les revendent sans nul scrupule avant l’expiration de ce terme, et ils n’ont besoin, pour se mettre à couvert, que de certifier le décès de l’engagé ; il est arrivé que des nègres vendus par les planteurs de Sierra-Leone ont été livrés de nouveau à des négriers. Tous ceux qui ont visité le Brésil ont rencontré de ces esclaves ; j’eus d’abord peine à croire, je l’avoue, que l’Angleterre tolérât de semblables abus, mais j’ai dû me rendre à l’évidence. Les nègres sont esclaves à Sierra-Leone comme au Brésil, car l’engagement de quatorze ans ne peut être considéré que comme un esclavage perpétuel dissimulé. Il est fâcheux que l’état intérieur de cette colonie anglaise soit aussi peu connu. Si j’en crois des renseignemens dignes de foi qui m’ont été communiqués, le traitement imposé aux nègres par les planteurs anglais ne ferait guère honneur à la philanthropie britannique.

C’est à Bahia que se passa l’affaire du brick français le Marabout, saisi à sa sortie du mouillage par le commandant du Cygne, capitaine Christie. Le saisie du bâtiment français fut motivée par la présence de planches que le capitaine n’avait emportées qu’après s’être