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une redevance journalière, plutôt que de rester soit sur une habitation, soit dans la maison de leur maître. A la vue de ces nègres robustes et hardis, on ne peut se défendre de réflexions pénibles sur l’état de la population noire vis-à-vis des blancs. C’est ainsi qu’au Brésil l’esprit est toujours invinciblement reporté vers les grands problèmes qui travaillent ce pays.- Parmi ces problèmes, celui de l’avenir des noirs est assurément un des plus redoutables.

Quelle que soit l’apathie du gouvernement brésilien, il est des situations qu’on n’envisage pas long-temps de sang-froid. Les hommes placés à la tête des affaires commencent eux-mêmes à être effrayés du nombre d’esclaves qui ont su conquérir la liberté depuis quelques années. Ce nombre pour Bahia seul s’élève à douze mille. On avait voulu interdire aux nègres libres la résidence de la ville, mais cette mesure par trop brutale n’aurait jamais pu être mise à exécution. On s’est borné à imposer aux nègres une capitation qu’ils espèrent un jour se faire rembourser par les Portugais, contre lesquels ils nourrissent une haine que les odieux massacres commis en 1838 n’ont pas encore satisfaite. L’insurrection de 1838, quoique restée sans résultat, est un fait bien plus grave que la rébellion de la province de Minas-Geraes en 1841. A Bahia, le cri des révoltés était : Mort aux Portugais ! Tous les hommes de race blanche tombaient assassinés dans les rues, leurs maisons étaient envahies, et ceux qui purent fuir à quelque distance de la ville échappèrent seuls à la rage des nègres libres et des mulâtres. Sabino, médecin distingué, homme capable et résolu, était à la tête du mouvement révolutionnaire. Le but des insurgés était de proclamer une république fédérative après s’être affranchis de l’autorité des Portugais, qui, tous négocians riches et disposant d’immenses capitaux, avaient la haute main sur l’administration de la province. D’horribles atrocités furent commises pendant les cinq mois que dura le gouvernement révolutionnaire. Les nègres, les mulâtres, frappaient de sang-froid et sans pitié tous les Portugais. Si la victime n’était que blessée, malheur à celui qui eût tenté de la secourir ! Un médecin français, passant dans une des rues les plus fréquentées, vit un Portugais expirant : il reconnaît un de ses amis et s’élance pour donner des soins au blessé. Les meurtriers, qui n’étaient pas loin, reviennent aussitôt sur leurs pas, et enlevant de force le docteur : « Tu es Français, lui disent-ils, cela te sauve ; mais si jamais tu oses secourir un Portugais, malheur à toi ! » Saisi par ces hommes ou plutôt par ces bêtes féroces qui tenaient leurs poignards sur sa poitrine, le Français dut laisser expirer son ami sans secours.