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les élections de 1842 lui étaient favorables, et il venait de déjouer victorieusement les tentatives de l’opposition ; mais une situation régulière ne peut jamais se prolonger au Brésil : une question de susceptibilité nationale entraîna la ruine du cabinet. La haine des étrangers a plus de puissance sur les Brésiliens que tous les principes politiques. Ils ne peuvent comprendre encore une pratique sérieuse et élevée des institutions qu’ils possèdent. Les provinces sont tranquilles aujourd’hui ; mais tout fait croire que des crises pareilles à l’insurrection de 1842 se renouvelleront fréquemment.

Les souvenirs qui s’attachent au pont de Parahybuna m’ont détourné du récit de mon voyage à Ouropreto. Il est difficile d’échapper, en visitant le Brésil, aux tristes préoccupations qu’éveille en tout lieu la situation politique de cet empire. En continuant ma route, je retrouvai un nouveau sujet de réflexions sur l’incurie administrative dont j’avais si souvent remarqué les traces. Je passai la Mantequeira, montagne très boisée, qui servait jadis de refuge à des voleurs qu’on avait long-temps laissé exercer en paix leur étrange industrie. Ces voleurs prélevaient des impôts sur les caravanes qui suivaient cette route, et massacraient les muletiers qui résistaient après une sommation. Ils avaient construit une barricade dans un des passages les plus étroits de la route ; hommes, chevaux, ne pouvant passer qu’un à un, il suffisait de deux brigands pour arrêter une caravane entière. Si ces bandits s’étaient bornés à voler, l’autorité serait probablement restée inactive. En effet, le voyageur dépouillé n’a d’autre ressource au Brésil que de se faire justice lui-même. Recourir aux magistrats pour demander l’arrestation d’un voleur de grand chemin est une perte de temps fort inutile. Malheureusement pour les brigands de Mantequeira, ils commirent trop d’assassinats. L’ordre fut donc envoyé de Rio-Janeiro de se saisir d’hommes qui arrêtaient toute communication par la terreur qu’ils inspiraient. Un détachement de troupes parvint à tuer les uns, à effrayer les autres, et lorsque je passai, on ne voyait plus que la barricade qui leur servait d’abri ; il y avait un mois seulement que les voleurs avaient été arrêtés.

Barbacena, où j’arrivai après trois jours de marche depuis mon départ de Parahybuna, est situé au milieu des campos, sur un plateau élevé ; on aperçoit au loin une église qui domine cette petite ville. Le nom de campos désigne une suite de collines presque entièrement dépouillées de végétation ; ce n’est que dans le fond des vallées qu’on trouve quelques arbres et un peu de verdure. Je regrettai, je l’avoue, ces belles forêts si épaisses qui m’avaient protégé jusqu’alors contre