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des graves questions que soulève l’état du Brésil, il n’est pas inutile, assurément, de placer souvent les faits à côté des réflexions.

C’est le 7 décembre 184.2 que je quittai Ouropreto pour me rendre à Bahia. J’avais à traverser la partie la plus curieuse et la moins fréquentée du Brésil. Je suivis pendant quelques heures une chaussée pavée, construite lorsque Ouropreto était le centre des mines les plus productives. Le ciel était sombre, une pluie incessante tombait depuis le matin. La vie de voyage recommençait pour moi avec ses fatigues et ses périls, mais aussi avec tout le charme de ses incidens bizarres et de ses rencontres imprévues. Le Brésil ne se montrait plus à mes yeux sous l’aspect sévère et morne qui m’avait frappé avant d’arriver à Ouropreto. Les terrains arides et ferrugineux que j’avais remarqués à l’entrée de la ville avaient fait place à un sol fertile, coupé d’arbres et paré de fleurs. Des groupes d’arbustes bordaient la route, des lianes verdoyantes tapissaient le bord des précipices. En franchissant non sans peine les montagnes qui dominent Ouropreto, je sentais que j’abordais pour ainsi dire un monde nouveau ; ma curiosité soutenait mon courage, et je dis adieu sans regret aux sites désolés, à la ville pauvre et triste que je laissais derrière moi.

Au pied du versant opposé de la montagne d’Ouropreto s’étend un joli vallon traversé par le Rio-Itabira, qui, à cet endroit de son cours, n’est encore qu’un ruisseau sans importance. Le voyageur qui descend la montagne a devant soi le village de la Cachoiera. Je suivis lentement le chemin qui me conduisait vers le vallon, et je me dirigeai vers une habitation où je comptais me reposer des fatigues de ma première journée de route. L’habitation était celle d’un ancien président de la province de Minas-Geraës, M. Mendez-Rodrigo. Je fus accueilli par le propriétaire avec la bienveillance que les Brésiliens témoignent toujours aux étrangers qui leur sont recommandés. Une fois débarrassé de mes vêtemens mouillés, et en attendant le souper, je me crus obligé d’aller passer quelques instans avec mon hôte, que je n’avais fait qu’apercevoir ; je le trouvai assis dans une salle, avec sa femme et ses filles ; je m’avançai pour le saluer : aussitôt il se leva, vint à moi, et me demanda si je désirais entrer dans le salon. Sur ma réponse affirmative, il m’emmena avec lui, et j’eus à subir un tête à tête d’au moins deux heures. Quant à sa femme et à ses filles, elles avaient disparu, je ne pus les entrevoir. Je connaissais trop bien la répugnance qu’ont les Brésiliens à montrer leurs femmes, pour m’étonner du bizarre procédé de mon hôte. Cette défiance extrême s’explique moins par la jalousie que par un attachement obstiné aux vieilles