Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
847
REVUE. — CHRONIQUE.

démolissait en riant ? et a-t-il eu conscience de sa mission depuis le jour où il commença la lutte jusqu’au jour où, de sa main tremblante, il baptisa le fils de Francklin au nom de Dieu et de la liberté, God and liberty ? Est-ce un grand-prêtre d’une religion nouvelle ? est-ce un Méphistophélès ? est-ce l’un et l’autre ? C’est ce qu’il faudrait demander à sa vie, à ses livres, à son siècle, et ce qu’il aurait fallu dire dans cette étude qu’avait demandée l’Académie française. Je le répète, ce travail était une bonne chose à entreprendre ; mais il fallait posséder le coup d’œil d’un publiciste et d’un philosophe, le goût d’un critique littéraire ; il fallait être assez habile pour paraître nouveau dans de certaines redites inévitables ; juger un homme et un siècle, et tout abréger sans rien omettre ; donner du relief aux idées, aux sentimens, aux faits ; analyser l’esprit dans toutes ses finesses et le cœur dans tous ses détours ; prendre Voltaire au milieu de ses relations, le mettre aux prises avec cet éloquent et malheureux Jean-Jacques, et en face de ce puissant et capricieux Frédéric, chercher l’homme dans les défilés de sa correspondance infinie, le poursuivre dans toutes ses cachettes, et l’amener vivant sur la scène, homme et écrivain au milieu de son siècle, pour l’admirer, le combattre, le railler, en lui empruntant sa plume et en lui dérobant un peu de sa verve. Il me semble que l’Académie française eût pu couronner alors un discours sur Voltaire. Celui-là n’est pas venu, on en a couronné un autre ; mais je doute que les mânes du vieux Voltaire aient tressailli de joie. Le patriarche de Ferney n’est pas heureux au palais Mazarin : une première fois, il y a bien long-temps, l’Académie mit son éloge au concours ; qui croyez-vous qui remporta la couronne d’assaut ? M. Murville.

Il est vrai que l’éloge de M. Murville était en vers, et que celui du nouveau lauréat est en prose ; l’autre était court, celui-ci est long, et certes je ne lui reprocherais pas son étendue, s’il apportait quelque chose de nouveau sur le personnage qu’il célèbre, sur la poésie, la philosophie ou la politique de son temps ; mais les aperçus ne viennent pas, les idées manquent, et l’on est réduit, dans cette disette, à attendre au passage quelques traits émoussés. Après cette pâle biographie, servez-nous donc quelques morsures de Fréron, voire les violens sarcasmes de De Maistre, la belle page de M. de Châteaubriand, ou quelques traits éloquens de M. Villemain, ou les finesses de M. Joubert : cela nous refera un peu.

Après les prix d’éloquence sont venus les prix de vertu. Franchement, les rôles sont renversés, c’est la vertu qui devrait avoir le pas. M. Villemain avait lu son rapport sur le prix d’éloquence avec son esprit accoutumé et de malicieuses réticences ; M. Scribe a fait le rapport sur les prix de vertu.

Toutes les fois que M. Scribe parle devant l’Académie, il commence par faire amende honorable. À son discours de réception, ce qu’il trouvait de plus extraordinaire à l’Académie, c’était de s’y voir, et il développait assez longuement cette idée. En cette dernière occasion, M. Scribe a renouvelé à peu près le même procédé ; il a déclaré sérieusement et modestement qu’il était