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REVUE. — CHRONIQUE.

arrêter le désastre. Avec des moyens d’action plus restreints, on a sauvé des causes plus désespérées. L’important est de vouloir et d’agir : l’inaction n’est excusable que lorsque l’activité serait stérile. Lorsque les sénateurs (on peut se permettre cette comparaison en parlant académie), assis gravement sur leur chaise curule, regardaient de sang-froid l’ennemi saccager Rome, ils avaient leurs raisons. Ne pouvant en aucune façon changer le sort des armes, ils se montraient résignés et supérieurs à leur destin, et rachetaient la faiblesse par la dignité ; c’était beau. Le cas n’est pas le même : la volonté manque plus ici que la force ; si on a peu d’influence, c’est qu’on ne cherche pas à en avoir davantage ; si l’on n’exerce pas sur la littérature contemporaine cette impulsion vive et salutaire qui venait de partout et qui ne vient de nulle part, c’est qu’on songe sans doute à des intérêts qu’on croit plus graves. La vérité est que l’Académie obéit à la tradition, sans chercher à la renouveler et à la féconder ; qu’elle fait les choses sans chaleur, sans initiative. Aussi a-t-elle pu mettre l’éloge de Voltaire au concours, sans troubler en rien les prospérités des Welches !

Quel moyen d’action pourtant que les concours, si l’on y songe ! Il y a concours et concours, sans doute. Lorsque Mme Deshoulières remportait le prix de poésie pour un morceau presque illisible qu’elle avait intitulé : Soins du roi pour l’éducation de sa noblesse dans les places et à Saint-Cyr, c’était l’enfance des concours, quoique le moment fût bon et que la poésie pût donner. Plus tard, dans le XVIIIe siècle, les concours de poésie et d’éloquence s’élevèrent à une certaine hauteur, et devinrent souvent des joûtes animées, où il était assez glorieux d’être vainqueur et pas trop humiliant d’être vaincu. Mais en notre temps de talent précoce, si prompt à dévier, de veines originales au début, il est probable que les tournois seraient plus brillans que jamais, si on savait agrandir la lice et attirer cette jeunesse dont une partie est oisive et désespère de l’avenir, et dont l’autre se perd dans les chemins de traverse de la littérature industrielle. Quoi ! la poésie grelotte, elle est sans feu ni lieu, et lorsque vous lui offrez l’hospitalité de votre palais, elle ne vient pas ! Quoi ! vous avez de l’or dans une main, une couronne dans l’autre, et la muse passe sans s’arrêter ! Il y a là quelque malentendu qu’il serait aisé de faire disparaître. Alors un peu d’éloquence se mettrait peut-être de la partie ; un peu d’enthousiasme sincère, de vraie passion, quelques idées neuves, un bon style, feraient leur entrée sans trop de bruit. Cet idéal n’est pas exagéré, il est possible, et pourtant il ne touche pas à la réalité actuelle ; il en est même assez loin. Pauvres concours ! on a dénaturé jusqu’à leur pensée principale, et l’on couronnera bientôt des fronts chenus. Hier, où est allée la couronne qui était destinée au front de quelque jeune Athénien ? — On a beau dire, ces palmes ne vont bien qu’à la jeunesse.

Le champ est donc abandonné, que le nom de Voltaire n’ait pas attiré quelques vaillans champions ? Il y avait là cependant une belle étude à entreprendre. Il est temps de le juger, ce roi de l’ironie, la plus grande exis-