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menacer le repos du monde, on peut penser que les évènemens qu’on ne voit point, ceux qui s’accomplissent lentement et pacifiquement à côté de la France, auront peut-être sur l’avenir des peuples une influence plus directe que ces bruyantes et stériles querelles de rivalité nationale. C’est la paix aujourd’hui et non la guerre qui, à notre sens, est destinée à changer la force relative des états et notre position de puissance vis-à-vis de l’Europe. Déjà le résultat de ce mouvement de transformation est sensible. L’Allemagne, ramassée en un faisceau d’intérêts industriels, n’est plus cette confédération militaire qu’avait imaginée le congrès de Vienne. Devenue indépendante, la Belgique non-seulement a ruiné sans retour la double pensée de défense et d’agression d’où était sorti le royaume des Pays-Bas, mais a changé par la base les traditions de notre politique du côté du Nord. Là où il n’y avait qu’un territoire à conquérir, que des populations sans lien commun à faire entrer dans la nationalité française, il s’est élevé un peuple dont il est nécessaire d’accepter l’existence et la durée, et de cultiver les sympathies sous peine de le voir chercher des appuis et des alliances parmi nos adversaires naturels. Les nécessités de notre politique sont restées les mêmes : nous ne pouvons souffrir qu’à cinquante lieues de Paris, une frontière hostile pèse sur le flanc si large et si vulnérable qui s’étend de Metz à Dunkerque ; mais à l’unique perspective indiquée autrefois par la prévoyance de ce danger même, la conquête, les esprits élevés commencent à comprendre qu’il est temps de substituer des moyens plus patiens et plus dignes de la civilisation, des moyens qui concilient le droit des faibles avec l’ambition naturelle à tous les grands peuples.

Si donc la question de notre sécurité et de notre prépondérance du côté du Nord consiste tout entière dans la nature des rapports pacifiques que nous entretiendrons avec la Belgique, tout ce qui tend à changer la position de ce royaume vis-à-vis de ses voisins est pour nous d’une importance extrême, et se rattache, par des conséquences presque directes, à cette éventualité d’une guerre future avec l’Angleterre, qui occupe tous les esprits en ce moment. Dans cet ordre d’idées, la dissidence commerciale qui vient d’avoir lieu entre la Prusse et la Belgique est un évènement. Il est très intéressant pour nous d’en bien connaître la signification.

La politique commerciale de la Belgique peut se formuler ainsi : obtenir les débouchés qui sont indispensables à ses industries, sans compromettre son indépendance politique. Dès le moment qu’ils ont pu s’occuper de déterminer les rapports de leur pays avec l’Europe, les hommes politiques qui se sont succédé au pouvoir en Belgique ont eu pour objet principal de faire en sorte qu’aucun des états voisins n’exerçât sur le nouveau royaume une prépondérance exclusive. Redoutant moins la Hollande, qui n’a pu empêcher la dissolution du royaume des Pays-Bas, et l’Angleterre, qui ne domine sur le continent que par intermédiaires, ils n’ont vit autour d’eux que deux puissances, l’Allemagne ou plutôt la Prusse et la France, en position