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sur un pied respectable : elle fera bien d’établir des croisières sur tous les points du globe pour protéger son commerce et son honneur ; mais elle n’est pas en état de rivaliser sur ce théâtre avec la puissance britannique. Voilà le véritable sens de la Note de M. le prince de Joinville, et tous les bons esprits du continent ont admiré la sagesse de ce conseil, car il ne s’adresse pas seulement à la France : tôt ou tard il pourra être d’un excellent usage pour tous les peuples qui ont des ports sur l’Océan, sur la Manche, ou sur la mer du Nord. L’Angleterre peut-elle avec raison réclamer contre un système naval dont le but est de créer entre des peuples voisins qui ont des frontières maritimes une indépendance et une égalité réciproques ? Autant vaudrait dire qu’elle a le droit de se plaindre des fortifications de Paris.

C’est cependant le secret dépit de voir s’élever peu à peu une marine française capable de soutenir dignement dans la Méditerranée et dans la Manche le rôle qui appartient à la France, c’est ce sentiment injuste qui nous fait accuser tous les jours dans les feuilles anglaises et ailleurs d’être tourmentés du démon de la guerre. Les prétendus griefs que l’on étale contre nous, les exigences que l’on nous montre, n’ont pas d’autre cause. L’affaire de Taïti n’est au fond qu’un prétexte dont se sert la jalousie britannique ridiculement excitée contre nous. Autrement, si l’Angleterre était de sang-froid, si la passion ne troublait pas son jugement, pourrait-elle, au sujet de Taïti, nous accuser de vouloir la guerre, nous dont la seule faute peut-être a été de céder trop complaisamment à ses premières exigences, et d’avoir encouragé par là ses prétentions ultérieures dans un débat où les plus simples règles du droit des gens nous donnent mille fois raison, tandis qu’elle a de son côté tous les torts que peuvent donner la précipitation, la violence et l’injustice ? Et si l’on veut parler de la guerre du Maroc, appellera-t-on ambitieux des gens qui, forcés pour leur sûreté de repousser les agressions d’un peuple barbare, ont commencé, avant le premier coup de canon, par désavouer à la face de l’Europe tout projet de conquête, par déclarer qu’ils ne prendraient pas un pouce de territoire à l’ennemi, et que tous les points occupés temporairement pendant les hostilités seraient évacués dès que la paix serait conclue ? Voilà une singulière ambition ! Que serait la puissance coloniale de l’Angleterre, si elle avait toujours montré ce désintéressement ?

Non, la France ne mérite pas les accusations dirigées contre elle. Son ambition n’est pas la cause du conflit qui s’est élevé entre elle et l’Angleterre. Elle n’en sera pas responsable. La France ne met pas de forfanterie dans son langage. Elle ne cherche pas à dissimuler les périls de la situation. Loin de vouloir la guerre, elle ne craint pas de dire qu’elle la déteste, et qu’une guerre avec l’Angleterre lui semblerait un horrible fléau pour le monde et le renversement des principes de la civilisation. Cependant, puisque bon gré, mal gré, il lui faut arrêter son esprit sur cette idée de la guerre, elle se console en songeant qu’elle a le droit pour elle. Le sentiment du droit fortifie l’ame des peuples, et leur inspire une confiance salutaire.

On annonce que plusieurs puissances européennes ont terminé depuis peu