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que M. Guizot, dans un intérêt de pouvoir, s’est fait le conquérant de quelques îles de l’Océanie. Il a voulu ouvrir au commerce et à la politique de la France une nouvelle voie dans des mers lointaines. Quel qu’eût été le motif des établissemens fondés par M. Guizot, la France les eût approuvés, s’ils avaient présenté un caractère sérieux, et si, bien loin d’offrir des résultats utiles, ils n’avaient pas fait craindre dès l’origine les embarras et les dangers survenus depuis.

Ce mouvement qui porte chez nous l’opinion à chercher au dehors des dédommagemens pour prix de l’inaction que les traités nous imposent sur le continent, cette tendance à développer pacifiquement l’influence diplomatique, maritime et commerciale de la France, ne peuvent surprendre l’Europe ni l’inquiéter : elle ne peut blâmer des dispositions qui sont la loi naturelle de tout gouvernement prospère établi sur de fortes bases. C’est le devoir et l’honneur des nations de travailler sans cesse à leurs progrès sans entraver l’action légitime des autres peuples. Comment pourrions-nous gêner l’Europe en prenant les mesures nécessaires pour garantir nos possessions d’Afrique, en combattant les projets avoués de la Russie sur Constantinople, en protégeant contre les excès du fanatisme musulman les chrétiens d’Orient, en offrant sur les mers un contrepoids utile pour prévenir les écarts d’une puissance qu’une domination trop étendue pourrait rendre tyrannique ? Comment troublerions-nous la paix continentale en ouvrant, par des traités et des découvertes, de nouvelles routes et de nouveaux ports à notre commerce maritime ? D’ailleurs, en suivant cette voie d’un progrès régulier et pacifique, agissons-nous autrement que l’Europe elle-même ? Que font aujourd’hui sur le continent tous les états fortement constitués ? Ne travaillent-ils pas à étendre leur action politique et commerciale ? Que fait la Prusse, que fait l’Allemagne ? quels sont les projets commerciaux de l’Autriche ? Qu’est-ce que ce réseau de douanes qui semble déjà substituer à l’action séparée de plusieurs états une immense unité, capable un jour de déranger l’équilibre de l’Europe ? Parlerons-nous de la Russie, dont les progrès sont des envahissemens, et qui viole ouvertement les traités ? Parlerons-nous de l’Angleterre, dont l’histoire maritime est une série d’usurpations et de violences ?

Abordons la véritable difficulté, la seule peut-être : nous voulons avoir une marine ; voilà ce qui déplaît, non pas à l’Europe, mais à l’Angleterre. La Note du prince de Joinville irrite encore profondément tous les cœurs anglais ; elle a fait déjà le sujet de plus de vingt discours dans le parlement. La presse anglaise y revient sans cesse, elle y reviendra encore long-temps. Et cependant que dit cette Note ? Dit-elle que la France doit posséder ou disputer l’empire des mers ? Elle ne dit pas autre chose que ceci : l’Angleterre a une puissante marine à vapeur qui menace les côtes de la France ; la France doit se hâter d’utiliser ce même moyen contre l’Angleterre, afin de détruire la confiance que lui inspire depuis si long temps sa position insulaire. La marine à vapeur rendra les chances d’une guerre d’invasion égales entre les deux pays. Quant aux escadres à voiles, la France doit les entretenir