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nous au-delà des mers, vengeance quelquefois bien incomplète, si l’on se rappelle le blocus de Buenos-Aires, et si l’on regarde ce qui se passe en ce moment à Montevideo ? Est-ce parce que nous occupons l’Algérie, conquête de la restauration, que le gouvernement de juillet n’aurait pu abandonner sans honte, et qui d’ailleurs, en délivrant la mer d’une race de pirates, n’a pas moins profité aux puissances maritimes de l’Europe qu’à nous ? Est ce enfin parce que M. Guizot a planté le drapeau français sur quelques rochers de l’Océanie ? Sans doute la France a pu blâmer avec raison cette entreprise de M. Guizot. L’utilité ne lui en a pas été démontrée. Elle en a reconnu du premier coup tous les inconvéniens. Elle a critiqué surtout la forme de l’établissement créé à Taïti. Elle a cru voir dans ces stériles conquêtes de M. Guizot beaucoup moins la pensée de faire une chose sérieusement avantageuse au pays que le dessein de se grandir à peu de frais, et de se raffermir au pouvoir par des actes d’une vigueur et d’une utilité apparentes. Mais si M. Guizot, pour fortifier sa politique, a voulu doter son pays de quelques îlots perdus dans l’Océan et dédaignés par tous les peuples maritimes, en quoi ces acquisitions illusoires pourraient-elles alarmer l’Europe ou l’Angleterre ? Pour mettre les choses au pire, l’équilibre européen sera t-il troublé parce que, dans l’espace d’un an, une trentaine de nos bâtimens de commerce auront relâché aux îles Marquises ou aux îles Gambier ?

Une seule chose pourrait inquiéter l’Europe ; ce serait l’intention témoignée par la France de reprendre ses frontières du Rhin. Or, sur ce point, que l’Europe consulte les actes et les paroles de notre gouvernement, le langage même des partis à la tribune ou dans la presse, elle verra que la question des limites du Rhin n’existe plus pour nous. L’opposition constitutionnelle, après l’avoir soulevée dans les premières années du gouvernement de juillet, l’a retranchée de son programme politique depuis le jour où elle a formellement accepté les faits accomplis. Renonçant désormais à toute pensée d’agrandissement territorial sur le continent, assurée que le progrès naturel des idées libérales suffira pour convertir l’Europe à ses principes, l’opposition constitutionnelle n’excite plus le gouvernement à renverser les barrières de 1815. Au lieu de lui conseiller d’agir sur le continent, elle le pousse à se mouvoir au dehors. Elle lui dit : Observez les traités et cherchez, sans sortir de leurs limites, à développer justement, pacifiquement, l’influence de la France. La mer vous est ouverte ; maître de l’Algérie, vous avez une grande influence à exercer dans la Méditerranée ; au nom de la civilisation chrétienne, au nom même des intérêts politiques de l’Europe, vous avez un rôle important à jouer dans les affaires d’Orient, vous avez aussi à protéger notre commerce et à faire respecter le pavillon français sur les mers ; si vous rencontrez des obstacles dans cette sphère légitime de votre action, si vos droits sont méconnus, résistez, le pays vous soutiendra. Tel est le langage que l’opposition constitutionnelle adresse au gouvernement depuis plusieurs années, et celui-ci s’en est inspiré plusieurs fois dans sa politique. C’est même, il faut le reconnaître, pour répondre à ce mouvement de l’opinion