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Ils lui ont dit : Tout l’honneur de votre carrière politique dépend de la résolution que vous allez prendre. C’est vous qui avez engagé dans cette affaire de Taïti les destinées de votre pays ; vous avez commis la faute de rappeler l’amiral Dupetit-Thouars ; nous vous avons défendu, nous ne pourrions aller plus loin. Vous avez le droit pour vous ; vous avez le sentiment du pays : relevez-vous par une résistance énergique. C’est une question de vie ou de mort pour vous. On nomme ceux qui ont donné ce conseil à M. Guizot. Il paraît aujourd’hui décidé à le suivre jusqu’au bout.

Néanmoins, il y a des jours, dit-on, où le superbe ministre fléchit, et où il insinue que toute l’affaire pourrait s’arranger facilement sans lui. Il déclare qu’il est prêt à se retirer, et que, s’il y a une lâcheté à faire, on en trouvera d’autres qui la feront à sa place. Ces paroles imprudentes ont été souvent prononcées, dit-on. Il est inutile de démontrer qu’elles renferment une accusation injuste. Aucun des hommes qui ont traversé le pouvoir, depuis 1830, n’accepterait de signer les concessions demandées aujourd’hui par l’Angleterre. Il ne faut pas que l’Angleterre s’y laisse tromper : on lui donne un espoir qui ne se réaliserait pas. Elle a devant elle M. Guizot ; qu’elle le garde. C’est encore lui qui servira le mieux ses intérêts. Pourquoi, d’ailleurs, M. Guizot voudrait-il se retirer sur l’affaire de Taïti ? Pense-t-il donc que ce serait pour lui une retraite glorieuse ? Il serait étrange qu’un ministre tirât vanité d’abandonner une situation qu’il a serinée de périls. Peut-on se glorifier d’une désertion ?

L’attitude du corps diplomatique à Paris est curieuse à observer. Elle semble favorable à la France. Malgré la réserve que les agens des diverses puissances sont naturellement tenus de s’imposer, on reconnaît aisément qu’ils approuvent notre conduite. La cause que nous soutenons leur paraît juste. Ils sont unanimes pour convenir que la précipitation de sir Robert Peel a créé les principales difficultés ; ils déclarent tous que ce serait la chose du monde la plus ridicule de voir l’Angleterre et la France se tirer des coups de canon au sujet d’un démêlé survenu dans une île sauvage, à quatre mille lieues de nous, et à l’occasion du révérend M. Pritchard,

La presse anglaise, si injurieuse il y a peu de jours, a changé de langage. Au sujet du Maroc, elle est devenue plus calme. Elle a rétracté d’odieuses calomnies, que la presse française a livrées au mépris de l’Europe, sans songer à les réfuter. En ce qui touche Taïti, les journaux de Londres, sans être moins exigeans au fond, ont cessé d’être aussi impérieux dans la forme. Le langage de nos voisins est devenu moins amer. Cependant on sait que l’Angleterre fait des préparatifs, et qu’une assez grande activité règne dans ses arsenaux. Il en est de même en France. Sans doute il est permis de compter sur la paix, mais il serait dangereux de se livrer à une confiance illimitée. M. Peel avait annoncé que l’affaire de Taïti serait probablement conclue avant la clôture du parlement, qui se réunira dans les premiers jours de septembre, et rien ne paraît encore terminé ou près de l’être. Que dira le parlement ? Dans quelle voie le ministère anglais sera-t-il poussé par sa