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comme il arrive dans la théorie alexandrine, chacune d’elles n’a de rapport immédiat qu’avec celle qui la précède, de sorte que la première et la troisième sont pour ainsi dire étrangères l’une à l’autre. Au contraire, dans la Trinité chrétienne, le Saint-Esprit étant le rapport même du Père et du Fils, il en résulte que les trois personnes de la Sainte-Trinité sont profondément unies ensemble, et, comme dit Bossuet, forment entre elles une sainte et divine société. Le Père connaît et aime le Fils, et il en est connu et aimé. Le Saint-Esprit aime et connaît l’un et l’autre, et lui-même est l’objet de leur connaissance et de leur amour. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, quoique distincts l’un de l’autre, se pénètrent par l’intelligence et l’amour dans un saint et éternel embrassement.

De cette grave différence en résulte une autre : c’est que dans la Trinité chrétienne le monde est profondément séparé de Dieu. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit forment, si l’on peut ainsi parler, un cercle divin. Ces trois personnes n’ont de rapport nécessaire qu’entre elles. Elles se suffisent ; elles ne supposent rien au-delà. Si le monde dépend de Dieu, c’est par un lien tout différent de celui qui enchaîne l’une à.d’autre les personnes divines. Le monde n’est pas engendré de Dieu, c’est-à-dire formé de sa substance ; il ne procède pas de Dieu, dans la rigueur théologique ; il est librement tiré du néant, c’est-à-dire créé. De là la nature divine profondément séparée de l’univers ; de là l’indépendance, la liberté de Dieu, et, dans cet être auguste, une sorte de personnalité sublime dont la nôtre est une faible image ; de là enfin, dans l’ordre moral, des conséquences inépuisables.

Dans la doctrine alexandrine, au contraire, les degrés de l’existence divine, au lieu de former un cercle, se déploient sur une ligne qui se prolonge à l’infini. L’Unité engendre l’Intelligence, l’Intelligence l’Ame, l’Ame à son tour produit au-dessous d’elle d’autres êtres qui à leur tour en enfantent de nouveaux, jusqu’à ce qu’on arrive à un terme où la fécondité de l’être est absolument épuisée. Il en résulte un système où la fatalité préside, d’où sont exilées la personnalité et la liberté ; où Dieu, décomposé en une série de degrés, se confond presque, en perdant son unité, avec tous les autres degrés de l’existence.

Ce rapide aperçu peut déjà faire entrevoir la supériorité de la doctrine chrétienne sur celle d’Alexandrie, et les causes principales qui ont amené le triomphe du christianisme.

Selon nous, la première et la principale cause de ce triomphe, c’est que la religion chrétienne apportait aux hommes une doctrine plus