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a pas en nous un autre moyen d’atteindre ce qui échappe à toutes les prises de la raison. Ce moyen, c’est l’extase, l’enthousiasme. La raison est un don sublime, mais elle a pour ainsi dire un vice originel, elle tient à la personnalité ; l’extase en est l’abolition ; elle identifie l’ame avec son objet, elle nous unit à Dieu, elle nous fait Dieu. M. Jules Simon démontre fortement que le principe de tout ce système est ruineux. L’idée de l’absolu, comme il le prouve avec une grande puissance d’analyse, est le fonds même de la raison. Toutes ces lois, tous ces principes, toutes ces vérités éternelles et nécessaires qui soutiennent nos pensées, qui dominent et dirigent nos sciences, perdent leur sens si on les sépare de l’idée de l’absolu. Loin de l’exclure, comme le croit le mysticisme, elles l’impliquent. C’est elle qui les engendre, les conserve et les constitue au plus intime de l’ame humaine. Pour trouver Dieu, l’homme n’en est pas réduit à renoncer à sa raison ; il lui suffit de l’interroger dans son fonds. C’est donc la raison qui éclaire l’homme, alors même qu’il croit avoir éteint sa lumière. Contemplation, vision, extase, tout cela n’est encore que la raison qui se dérobe à la conscience dans la soudaineté sublime de son action. Hors de là, il n’y a que les chimères d’une imagination exaltée, les visions d’un cerveau malade, et, faut-il le dire ? les hallucinations d’un sang échauffé. Les mystiques veulent secouer le joug de la personnalité, et ils y retombent sans cesse. Ils croient entendre la voix de Dieu, c’est celle de leur fantaisie. Ils s’imaginent sortir du moi, ils s’y emprisonnent ; en croyant s’envoler au ciel, ils s’enchaînent plus étroitement à la terre, et le dernier fruit de cette exaltation qu’on croit angélique n’est que trop souvent l’abandon le plus déplorable aux dérèglemens les plus honteux.

Toute cette critique du mysticisme alexandrin est d’une solidité et d’une profondeur également remarquables ; M. Jules Simon est loin d’être aussi fort contre le panthéisme. Il accorde et même il démontre que le panthéisme n’a rien à démêler avec l’athéisme, qu’il ne consiste point à absorber l’infini dans le fini, et Dieu dans la nature, mais seulement à les unir par le lien d’une consubstantialité et d’une coéternité nécessaires. Il va même jusqu’à soutenir, et à notre avis il réussit à prouver avec la plus rare sagacité, que le panthéisme n’exclut pas absolument les conditions de l’individualité, et peut laisser place à une multiplicité distincte de forces finies ; il indique en passant les emprunts, très remarquables en effet, que Plotin a faits au dynamisme d’Aristote et à toute sa belle théorie de la nature ; puis, après avoir soulevé ces questions redoutables, il les tranche en quelques mots. Le panthéisme, dit-il, est contradictoire. Soit ; mais il ne faudrait pas