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douteuses. On est en droit de s’étonner du prodigieux succès de la caisse d’épargne, quand on considère le grand nombre de sociétés mutuelles sur la vie qui travaillent à lui faire concurrence. Jusqu’ici, ces institutions n’ont guère pénétré dans la classe laborieuse, d’abord parce qu’étant régies par des mains particulières, elles offrent moins de motifs de confiance, que le trésor de l’état, et ensuite parce qu’on ne peut plus en retirer son argent à volonté. Le grand avantage des caisses d’épargne, ce qui fait leur mérite aux yeux du peuple, c’est ce mouvement de va et vient du numéraire ; l’argent entre et sort sans obstacle, de sorte que l’ouvrier peut avoir recours à l’établissement comme à son coffre-fort plusieurs fois dans l’année, pour subvenir à ses besoins imprévus, au paiement de son loyer, à ses habillemens d’hiver ou d’été. Dans les années critiques, comme en 1840, le peuple place 99 millions d’une main et en retire 78 de l’autre. La malveillance savait bien que cette faculté de ravoir son argent à bref délai était une des causes de la prospérité des caisses d’épargne ; elle essaya d’obscurcir cet avantage par des argumens faux et ridicules, que le bon sens de la nation a dissipés.

La caisse d’épargne est visiblement une institution empreinte d’un sentiment charitable. Au lieu de la prendre par son côté moral et philosophique, ses adversaires se sont arrêtés devant des inconvéniens de détail, et encore devant des inconvéniens éloignés, arbitraires, selon nous chimériques. Plutôt que de proposer de détruire une institution comme celle-là, dans un temps où le peuple a tant besoin d’une sauve-garde, au milieu de la tourmente des intérêts, contre les secousses et les perturbations de l’industrie, mieux vaut proposer de l’étendre et de l’affermir. Le seul reproche qui, selon nous, puisse frapper juste sur la constitution actuelle des caisses d’épargne est celui-ci : les avantages qui en résultent sont individuels, la masse n’en profite pas ; or, le résultat qu’il importe avant tout d’obtenir n’est pas que la condition de tel individu soit relativement plus favorable, mais que la condition générale du peuple soit changée. Cet argument ne nous semble pas irréprochable ; en améliorant le sort particulier de chaque citoyen, on arriverait au contraire à améliorer l’état de la masse. Il est cependant vrai que jusqu’à ce jour les caisses d’épargne ont marché dans une voie étroite ; cette voie peut s’élargir. L’institution a encore cela de bon, qu’elle est capable de développement ; si elle n’a rendu jusqu’ici que des services isolés, il faut s’en prendre à cet esprit de timidité ou peut-être de prudence qui veille sur le berceau des caisses d’épargne. Ceux qui ont fondé ces établissemens, fiers à juste