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40,000 francs, qui ont servi à délivrer 1,760 livrets. Ces dons ont été faits le 11 juin 1837. Si l’auteur de ce bienfait revenait à la lumière, il verrait que le grain jeté dans la terre sainte de l’économie a profité ; la somme totale inscrite au nom des divers possesseurs de ces livrets, et malgré l’extinction de 116 comptes, par suite de départ ou de décès, s’élève aujourd’hui à 181,431 francs ; le don primitif s’est accru ainsi dés épargnes successives faites par les jeunes gens, et des petites sommes qu’ont pu y ajouter leurs familles, tant il est vrai que le goût d’amasser naît d’une première somme mise en réserve ; si l’abîme de la misère appelle l’abîme, la première pierre qui doit le combler attire une autre pierre, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il soit fermé. On voit donc que la caisse d’épargne, si souvent accusée au premier chef de développer l’égoïsme, favorise et provoque aussi la charité. Elle dit aux riches : Donnez-moi de votre superflu, pour que j’amasse à l’un de vos serviteurs fidèles une pension pour ses vieux jours. Elle dit à la jeune femme du monde opulente et coquette : Votre cou frêle et délicat porte autour de soi dans un fil la valeur de bois, de mines et de terres labourables qui feraient vivre plusieurs familles, laissez couler une de ces perles dans ma main ; votre robe est chargée de paillettes et de fleurs, comme celle de l’aurore, secouez-la pour qu’il en tombe quelques-unes sur la terre des pauvres ; j’en cultiverai le germe précieux durant plusieurs années, et je m’en servirai un jour pour revêtir de la robe nuptiale vos sœurs déshéritées, après les avoir rachetées de la misère qui conseille le vice.

L’économie a aussi (qui le croirait) son côté poétique ; elle ne rejette point ces fleurs du sentiment que la civilisation est accusée, un peu à tort, d’étouffer sous sa main égoïste et froide. Deux jeunes filles ont payé, en 1836, les dettes de leur père, et l’ont fait sortir de prison avec les fruits accumulés d’un travail assidu que la Providence a béni ; leurs enfans un jour le leur rendront, quand elles seront mères ! Dans la ville de Beauvais, deux fiancés se sont rencontrés, la veille de leur mariage, à la caisse où ils allaient retirer les économies qui devaient servir à leur établissement. Quelle joie de se surprendre l’un et l’autre dans la même pensée, dans la même bonne œuvre, et comme en flagrant délit de sainte prévoyance ! A Paris, on voit chaque jour des ouvrières, mères d’une petite-fille encore au berceau, que l’amour, un imprudent amour de dix-sept ans, a par hasard jetée entre leurs bras, venir, à la fin de chaque semaine, apporter cinq francs, fruit de leur labeur de chaque jour, et continuer ce dépôt avec une persévérance infatigable durant plusieurs années, pour amasser une