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et contre les évènemens soudains. L’argent passe dans cette institution tutélaire ; il n’y séjourne pas. Quand les versemens depuis 1 franc jusqu’à 300 se trouvent constituer la somme de 2,000 francs, qui est le maximum des dépôts, ou celle de 3,000 francs, terme de l’accumulation des intérêts, cette somme est retirée pour être transformée en un établissement, en un achat d’immeuble, en une pension viagère ou en tout autre emploi foncier. En limitant la quotité des versemens à 300 francs une fois par semaine, et en arrêtant le compte de chaque individu à la somme totale de 2,000, on a prétendu écarter de cette institution les gens riches qui voudraient mordre dans les bénéfices des pauvres. Où la spéculation va-t-elle se nicher ? Il existe pour les classes aisées mille moyens d’utiliser leur fortune, car l’argent est, de nos jours un capital bien autrement actif que le travail ; comment se fait-il donc qu’elles aillent encore disputer à l’ouvrier le faible intérêt que l’état lui sert pour encourager ses économies ? Quelques spéculateurs ont été jusqu’à cumuler sous leur nom ou sous des noms empruntés plusieurs livrets : il faut flétrir de telles manœuvres ; et malheureusement il y en a eu, il y en a encore. Ces oisifs opulens viennent prendre au banquet de la charité sociale la place du nécessiteux et de l’homme de peine. La caisse d’épargne n’est point créée pour eux ; cette institution, dans laquelle les classes ouvrières, les classes qui ne possèdent pas, s’exercent à l’économie et aux moyens de faire naître l’aisance, n’a point été fondée pour les riches, qui n’ont que faire de ses services.

Si les fonds des caisses d’épargne étaient mobilisés, comme quelques administrateurs le désirent, s’ils étaient employés à des travaux utiles, nous ne verrions plus un si grave inconvénient à ce que tout capital stagnant, et par suite frappé de mort (car la vie pour le numéraire, comme pour les êtres organisés, c’est le mouvement), vint augmenter les forces de la production. Il n’en est pas ainsi : l’état fait en faveur de ces caisses un sacrifice, léger il est vrai, dont il veut faire profiter le travail pauvre, et non la richesse. Dans cette situation, nous regrettons qu’une prime d’encouragement ne soit point accordée aux petites épargnes. Ce serait le moyen d’attirer vraiment à l’institution la classe ouvrière. Nous n’aimons pas à voir figurer sur les livrets ces sommes de 300 francs, surtout quand elles se représentent plusieurs semaines de suite ; nous aimerions mieux l’humble mise de 10 francs, ou même d’un écu, parce que sous ce petit versement il y aurait un germe considérable d’économie. Ce que nous devons surtout