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Il est faux que la classe ouvrière soit restée étrangère aux bienfaits de la caisse d’épargne ; ce qui est vrai, c’est qu’elle y est venue lentement. Au commencement, la catégorie des domestiques entrait pour moitié dans la clientelle de cette institution ; plus tard, elle ne formait que le tiers, et enfin aujourd’hui elle ne compte plus que pour un cinquième. Tandis que la classe des gens de service subissait ce mouvement de décroissance, celle des ouvriers suivait un mouvement contraire d’ascension ; dans les premiers temps, on remarquait avec peine leur absence ; quelques années après, on les voyait constituer un sixième, puis un quart, puis un tiers, et enfin aujourd’hui ils forment la majorité des déposans. Pour exprimer leur situation en chiffres, nous sommes fondé à dire que le nombre des ouvriers qui versent à la caisse d’épargne est de 90,000, et celui des domestiques de 34,000. Les hésitations de la classe ouvrière, dans les commencemens, n’ont rien qui doive nous surprendre ; d’abord il a fallu du temps aux travailleurs pour faire leur éducation d’économie ; des habitudes invétérées de désordre et de dissipation ne se suppriment pas en un jour ; il a été nécessaire de les détourner peu à peu, avant de créer à la place des habitudes nouvelles ; ensuite la défiance a arrêté les progrès de l’institution. Celui qui possède le moins est celui qui craint le plus pour son chétif avoir ; ce fruit de plusieurs années d’épargne se grossit à ses yeux des peines et des sueurs qu’il s’est donné pour l’acquérir, Il y a encore des gens qui cousent des pièces d’or dans leurs vêtemens. En 1833, une paysanne des environs de Paris a apporté 300 francs à la caisse d’épargne ; cette somme avait été enfouie en 1814. pour la soustraire à la rapacité des Cosaques. L’argent n’est pas semblable au grain ; l’enfouir n’est pas moyen de le faire fructifier ; si cette femme eût apporté ses 300 fr. en 1818, elle eût possédé 246 fr. de plus en 1833. Cette doctrine commence à pénétrer dans les masses ; la voix de la sagesse souffle à l’oreille de l’ouvrier : « Pourquoi donc avoir caché ton argent dans un linge ? — Les écus ne multiplient pas d’eux-mêmes ; ils ne font pas de petits, comme on dit communément ; si tu les avais portés à la banque, un jour tu les eusses retirés accrus des intérêts. Le peuple, avec cet admirable bon sens qui le caractérise, comprit en outre que c’était le moyen de mettre son argent en lieu sûr ; cet argent si chèrement gagné, si courageusement épargné, avait moins à craindre dans la caisse publique du trésor que dans sa propre maison, où la main des voleurs pouvait, nuit et jour, le surprendre. Ce mouvement une fois imprimé ne s’arrêtera plus. Chaque année, chaque mois, chaque jour voit grossir le budget de la caisse d’épargne ; la force